C’est en mars 2020 que le spectacle Scooby-Doo et la légende de l’Eldorado devait amorcer sa tournée, à la Place Bell. Il a été reporté à trois reprises à cause de la COVID-19, et c’est plutôt en Virginie que la tournée a été lancée en début d’année. En attendant la venue de Scooby et de ses amis à Laval le 24 avril, La Presse s’est rendue dans les ateliers de Monlove, groupe montréalais passé maître dans la conception de spectacles familiaux à grand déploiement.
Méconnue du grand public, Monlove s’est littéralement inventé un créneau, incorporant projections, marionnettes géantes, chant, musique et arts du cirque. Un mariage naturel pour les fondateurs, Ella Louise Allaire et Martin Lord Ferguson, qui ont d’abord fait leur marque au Cirque du Soleil en contribuant à la composition et aux arrangements de spectacles tels que Kà, Zed, Mystère, Alegría et la tournée de Saltimbanco en aréna.
Curieux de nature, le couple québécois s’est intéressé de près à la réalité vécue par les producteurs, notamment à l’époque où il travaillait sur Zed, spectacle du Cirque du Soleil présenté à Tokyo de 2008 à 2011.
« C’est peu de temps après que l’on a appris que la Fox cherchait à faire un spectacle sur Ice Age [L’ère de glace, en français], se rappelle Martin Lord Ferguson. On s’est mis à s’imaginer faire le spectacle avec tel metteur en scène, telle équipe, en faisant nous-mêmes les marionnettes. »
Quelques mois plus tard, le couple Ferguson-Allaire présentait son projet à Jim Gianopulos, président de la 20th Century Fox, en compagnie du directeur artistique et cofondateur du Cirque du Soleil, Guy Caron. « Après 10 minutes avec lui, il a demandé à son adjointe de repousser son prochain meeting, se souvient Ella Louise Allaire en riant. On était donc là, en équipe réduite, et Jim est tombé en amour avec notre concept ! Je dirais que c’était comme une réunion de rêve, ça n’arrive pas souvent dans ta vie, ce genre de choses. »
On a donc développé cette espèce de spectacle hybride qui n’est pas une comédie musicale de Broadway, mais qui s’en approche, avec des éléments de cirque, de vidéo, et des marionnettes qui prennent beaucoup de place.
Martin Lord Ferguson, cofondateur de Monlove
« C’est pourquoi on nous appelle un live stage spectacular ; on est vraiment les seuls à faire ça. Pour Ice Age, on avait fait des plateformes qui flottaient au-dessus de la glace pour faire des numéros de kung-fu, c’était vraiment flyé, enchaîne Martin Lord Ferguson. Prends un Disney on Ice, mais sur les stéroïdes. On est même allé chercher des athlètes olympiques, tout ça pour un show de famille ! »
Un spectacle familial, soit, mais Ice Age Live ! A Mammoth Adventure a finalement été présenté en 12 langues, dans 62 pays, rapportant plus de 100 millions de dollars aux guichets.
Monlove a ensuite planché sur Opération Noisettes et amis, spectacle lancé à Montréal en décembre 2017, peu de temps après la sortie du deuxième volet de la série de films d’animation – un troisième est attendu en 2023. Un autre beau succès qui a consolidé la réputation de Monlove, attirant cette fois l’attention de Warner Bros., qui lui a confié la production de Scooby-Doo, après quoi suivront au printemps 2023 les aventures de Bugs Bunny, Daffy Duck et autres Looney Tunes.
« C’est un honneur pour nous et ça a fait l’effet d’une bombe dans l’industrie, parce que c’est la première fois en 90 ans que Warner accepte de faire une comédie musicale avec ses Looney Tunes », nous apprend Martin Lord Ferguson.
En avant la musique
Scooby-Doo et la légende de l’Eldorado est bien sûr une comédie musicale, à l’image de toutes les créations signées Ella Louise Allaire et Martin Lord Ferguson.
« On imagine des thèmes pour chacun des personnages, on veut des chansons-phares pour chacun d’eux, ce qui va les identifier en fonction de leur personnalité », explique Ella Louise Allaire, elle-même chanteuse et musicienne.
C’est aussi grâce à la musique que l’on exprime l’amitié entre Shaggy et Scooby, parce qu’il s’agit vraiment d’une relation privilégiée.
Ella Louise Allaire, cofondatrice de Monlove
La musique et le chant portent ainsi l’histoire écrite et imaginée par le couple de créateurs, qui s’implique dorénavant sur presque tous les plans de la production, appuyé toutefois par des ténors du milieu tels que l’ancien du Cirque Éloize Pierre Boileau à la direction, ou le vétéran du Cirque du Soleil Guy St-Amour à la scénographie.
Les apprentissages recueillis au fil des années sont bien entendus cruciaux, mais il a néanmoins fallu adapter la formule pour plaire à un public plus jeune.
« Ce qui est différent dans un spectacle destiné aux enfants, c’est le rythme, soutient Martin Lord Ferguson. Au Cirque du Soleil, un numéro d’acrobatie peut durer de six à sept minutes, mais dans un show comme Scooby-Doo, il va durer généralement deux minutes et demie, jamais plus que trois minutes et demie. L’adulte est prêt à en voir un petit peu plus, mais le jeune, lui, il veut que ça continue de bouger. Les enfants aiment beaucoup nos spectacles parce que c’est un feu roulant. »
Faire des choix
La recette fonctionne à merveille, si bien que de nombreux studios cognent à la porte de Monlove dans l’espoir de voir leur franchise cinématographique adaptée pour la scène. L’entreprise montréalaise a aujourd’hui l’embarras du choix, elle a donc pris la décision d’écarter les productions qu’elle juge trop violentes.
« On détermine vraiment minutieusement avec qui on veut s’associer, affirme Martin Lord Ferguson. On choisit les franchises en fonction du fait que l’on veut donner du bonheur. C’est d’ailleurs pourquoi on a choisi de réaliser Scooby-Doo ; on y trouve une égalité des genres, deux gars et deux filles qui ont besoin de travailler ensemble. Et puis, ils ont chacun des personnalités différentes, en plus du chien, c’est tous ensemble que cette équipe-là réussit à résoudre les énigmes. »
Présenté d’abord en anglais en Amérique du Nord, Scooby-Doo ! and The Lost City of Gold retournera aux États-Unis tout de suite après sa présentation à Laval.
« Le début de la tournée a permis d’établir la notoriété du spectacle, repartir la roue avant d’autres, il n’y a pas beaucoup de spectacles du genre en ce moment, soutient Martin Lord Ferguson, joint au téléphone au début du mois d’avril. Le spectacle est maintenant bien rodé, ça tombe bien, parce qu’on a plein de demandes pour l’été et l’automne. »
Quant à la version française du spectacle, on nous confie qu’elle sera lancée à Montréal à l’automne 2023, avant de partir en tournée en Europe francophone. Monlove prévoit promener son spectacle un peu partout dans le monde pendant au moins cinq ans.
Scooby-Doo et la légende de l’Eldorado à la Place Bell, le 24 avril (spectacle en anglais)
Consultez la page Facebook du spectacle (en anglais)Marionnettistes de feu
En développement depuis plus de cinq ans, le projet Scooby-Doo et la légende de l’Eldorado a été entièrement réalisé dans les ateliers montréalais de Monlove, rue Frontenac. L’équipe a bénéficié d’un budget de développement de près de six millions de dollars, et près du cinquième de cette somme a été consacré à la conception des imposantes marionnettes, désormais un élément signature des productions Monlove.
« Dans notre équipe de feu, on peut même compter sur William Todd Jones, qui a participé à la création du Yoda original, s’exclame Martin Lord Ferguson. Il a aussi travaillé chez Jim Henson, de même que sur la série de films Harry Potter, et il vient régulièrement chez nous comme consultant. On a aussi retenu les services de Patrick Martel [concepteur des grandes marionnettes du spectacle Toruk, du Cirque du Soleil], après quoi on peut compter sur tout le talent d’ici. C’est une expertise très rare, c’est pourquoi on a voulu avoir notre propre atelier pour pouvoir créer des choses particulières. »
Autour de nous se retrouvent justement quelques-unes de ces étonnantes créations, qu’il s’agisse du jaguar géant, immense marionnette manipulée par deux personnes, des loufoques plantes carnivores ou de Scooby-Doo lui-même – on a développé une combinaison musculaire sur mesure pour donner une morphologie naturelle à la grande marionnette habitée qui est manipulée par Caroline Bernier-Dionne. Trois Scooby-Doo ont été réalisés, à 70 000 $ pièce, gare à ceux qui feraient l’erreur de les confondre avec une mascotte !
Former un tout
« Nous avons tous été formés à l’université dans un programme de deuxième cycle en marionnette moderne, et il y a aussi l’Association québécoise des marionnettistes qui organise des stages, mais il y a beaucoup de techniques qui ont été inventées ici même », nous explique Christine Plouffe, cheffe d’atelier des marionnettes chez Monlove.
Notre équipe est née avec la création d’Opération Noisettes et amis, et on a continué par la suite à faire des shows de grande envergure ensemble ; on est réellement devenu l’équipe de feu, on est comme la crème de la crème des marionnettistes !
Christine Plouffe, cheffe d’atelier des marionnettes chez Monlove
L’expertise se déploie aussi dans le jeu des marionnettistes, qui sont partie prenante du spectacle : « Dans la marionnette contemporaine, les marionnettistes ne sont pas cachés, on n’essaie pas de créer l’illusion qu’ils n’existent pas, nous dit Christine Plouffe. Le marionnettiste est là, on n’essaie pas de faire d’artifice ; par exemple, quand le lama crache sur Scooby-Doo, c’est la marionnettiste qui a de l’eau dans la bouche et qui crache. Mais pour le spectateur, c’est le lama qui fait l’action parce que son manipulateur et lui forment un tout dans notre cerveau. »
Au-delà de donner vie et voix au personnage qu’ils manipulent, la plupart des marionnettistes sont aussi appelés à chanter. Le travail de composition est multiple.
« Souvent, le marionnettiste est lui-même un personnage, il peut parler à sa marionnette, il peut avoir un rapport avec elle. On peut ainsi beaucoup jouer avec cette relation-là, enchaîne la jeune artiste. Au cinéma, quand l’animation numérique est arrivée, tout le monde s’est mis à utiliser ça, mais aujourd’hui, on se rend compte que dans le fond, on s’ennuie de la marionnette. Si on se souvient des premiers Star Wars, tout ce qui a été fait en marionnette a bien vieilli, contrairement à ce qui a été réalisé par la suite par ordinateur. Ça permet de comprendre à quel point la marionnette, c’est payant parce que c’est vivant ! »