Les Grands Ballets canadiens offrent un retour sur scène à grand déploiement avec la création Roméo et Juliette, signée par le directeur artistique de la compagnie, Ivan Cavallari. Les amateurs de ballet narratif néoclassique seront servis ; ceux à la recherche d’audace resteront sur leur faim.

En 2020, le Ballet national de Géorgie devait présenter, à l’invitation des Grands Ballets, son ballet Roméo et Juliette, une des pièces les plus emblématiques de William Shakespeare. L’histoire tragique des amants de Vérone, leur amour passionnel et impossible, et la rivalité funeste entre les familles Capulet et Montaigu a connu nombre d’adaptations au fil des ans, que ce soit sur scène ou au cinéma.

Puis, la pandémie s’est abattue sur nous, et, devant l’incertitude quant à la venue prochaine d’une troupe étrangère ici, le directeur artistique de la compagnie montréalaise, Ivan Cavallari, a décidé d’offrir sa propre version de la célèbre histoire. Pour ce faire, il s’est inspiré, oui, de la pièce de Shakespeare, mais a puisé aussi dans la littérature italienne du 14e et 15e siècle, notamment dans la Divine comédie de Dante. Il offre donc sa vision toute personnelle, assez intimiste, de Roméo et Juliette.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Les Grands Ballets ont investi beaucoup de temps et d’argent dans la confection des costumes.

Production d’envergure

Pour leur grand retour sur scène, les Grands Ballets ont vraisemblablement voulu faire plaisir à leur public avec une production d’envergure, réunissant les 47 danseurs de la compagnie portant 140 costumes faits main — un investissement de près de 600 000 $ — sur une scène magnifiée par des arbres grandeur nature qui se pareront de diverses couleurs au fil des scènes. Le tout, sans oublier l’Orchestre des Grands Ballets qui fait aussi son retour et exécute en direct de la fosse de la salle Wilfrid-Pelletier la célèbre musique du ballet composé par Sergueï Prokofiev.

Bref, tous les éléments clés sont là — une tragique histoire d’amour qui émeut depuis des siècles, des interprètes de haut niveau, une mise en scène imposante, une musique enlevante — pour faire mouche, créer l’émotion, soulever les passions. Malheureusement, la pièce n’y parvient pas tout à fait.

La création n’est pas campée dans une époque particulière, avec une volonté affirmée de mettre de l’avant l’universalité de cette histoire d’amour. Fort bien. Mais on est loin d’une esthétique intemporelle ou minimaliste. Au contraire, il y a ici un mélange parfois étourdissant et fantaisiste de références à diverses époques ; les costumes, hétéroclites, mêlent les couleurs, les motifs, les styles, les textures. Des éléments scéniques comme des (faux) chiens poilus tirés par des laisses sont introduits, sans que l’on comprenne exactement leur apport à l’ensemble.

Cette proposition ne sort pas des sentiers battus, mais devrait plaire aux amateurs du genre. Le directeur artistique propose un ballet narratif néoclassique assez conventionnel dans sa structure et son langage chorégraphique, un ballet-pantomime où se succèdent des scènes dansées — en groupe, en trio, en duo — racontant l’histoire d’amour de Roméo et Juliette, mais aussi d’autres personnages secondaires comme la relation, illicite, entre Lady Montaigu et Lord Capulet.

Plusieurs tableaux versent dans le clownesque et le burlesque, manifestement pour divertir et insuffler un peu de légèreté à l’ensemble. Les mimiques et expressions sont parfois un peu trop appuyées, même si on sourit devant les pitreries de Mercutio, interprétées par un Célestin Boutin très en forme, personnage qui tombera aux mains de Tybalt, le cousin de Juliette, provoquant les évènements funestes que l’on sait.

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Scène de la rencontre entre Roméo et Juliette

Les scènes de combat sont généralement bien menées et entraînantes, mais certains tableaux de groupe, particulièrement au début, donnent une impression de confusion, et la synchronisation des danseurs n’est pas toujours optimale. La scène de la rencontre entre Roméo et Juliette est mignonne, et les interprètes des amants, Kiara DeNae Felder et Hamilton Nieh, sont très expressifs, particulièrement ce dernier, qui sait bien transmettre l’émotion. On salue d’ailleurs le choix d’interprètes issus de la diversité pour ces rôles — ce qui ne devrait plus être un enjeu en 2022.

Au final, malgré certaines qualités, les Grands Ballets proposent une version quelque peu édulcorée de Roméo et Juliette. On demeure, somme toute, en surface ; une belle surface lisse qui ne fait qu’effleurer le côté rugueux, souterrain, sombre de cette histoire d’amour tragique, alors que le tout se termine par une danse finale des amoureux nappés d’une lumière divine, les bras en croix, partis vivre leur amour éternel dans l’au-delà.

Jusqu’au 27 mars, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.