Émile Proulx-Cloutier présente cette semaine à Montréal son nouveau spectacle solo À mains nues, qu’il promènera partout au Québec au cours des prochains mois. Nous y avons assisté jeudi, mais nous avons aussi parlé avec l’auteur-compositeur-interprète de sa grande débâcle printanière.

Le mot « débâcle » est souvent employé de manière négative, quand on veut illustrer que tout s’effondre. Émile Proulx-Cloutier, lui, l’interprète dans le bon sens. « C’est quand les glaces pètent et que le courant reprend », nous a-t-il expliqué au téléphone mercredi, à la veille de sa première au Gesù, où il se produira encore ce samedi et les 14 et 15 avril. « C’est l’expression d’une force qui ne fera pas de quartier, mais qui est nécessaire pour que la vie revienne. »

C’est justement ce que le chanteur et comédien a l’impression de vivre en ce moment : sa tournée À mains nues, qui a débuté en février, a pris son envol un an plus tard que la date prévue, alors que le spectacle documentaire qu’il a créé avec Anaïs Barbeau-Lavalette, Pas perdus, qui devait voit le jour au printemps 2020, vient enfin de prendre l’affiche au Théâtre d’Aujourd’hui.

J’avais une première de théâtre, moi, il y a exactement une semaine ! Ce sont des projets qui ont attendu tellement longtemps qu’on en est venus à croire qu’ils n’existeraient jamais. La cohabitation de ces deux évènements est très significative.

Émile Proulx-Cloutier

Comme des symboles de la reprise des arts vivants, ces deux spectacles se complètent aussi, d’une certaine manière. « Pas perdus est un show collectif qui parle du nous. Et là, je m’en vais faire un solo sur le besoin des autres et la nécessité des liens. »

C’est le confinement qui l’a amené à s’ouvrir plus que jamais, à être « une coche plus impudique ». « Une débâcle intérieure où je m’autorise à parler davantage de désir, intime et collectif. »

Cette année supplémentaire lui a aussi permis de continuer à créer, ce qui fait que À mains nues est composé de 40 % de chansons inédites. L’homme de théâtre en lui aime ce type d’écoute « nouvelle », qu’on a quand on va voir une pièce, un spectacle d’humour ou un film.

« Les mots que je dis sur scène, j’ai été formé pour que ce soit la première fois que le public les entende. Je me fais un devoir dans l’interprétation pour que ce soit clair, et neuf. »

Le spectacle

C’est devant un grand carré noir évoquant un écran d’ordinateur éteint qu’Émile Proulx-Cloutier a installé son piano, sorte de pied de nez à notre vie virtuelle pandémique. Les images et les vidéos, poétiques et très simples, qui viennent habiller quelques-unes des chansons sont projetées autour de ce carré qui demeurera « fermé » toute la soirée : c’est sur la scène, en vrai, que ça se passe.

Pendant 90 minutes, l’auteur-compositeur-interprète alterne entre les anciennes chansons remaniées à la sauce piano solo et les toutes récentes jamais entendues, entrecoupées de monologues slamés ou narrés. Mais c’est vrai que la frontière entre le vieux matériel et le nouveau n’existe pas vraiment : le fil d’À mains nues, c’est la mise à nu justement, une espèce de corps à corps entre un homme, sa musique et ses textes, mais dans lequel est inclus le public, tout le temps.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Première du nouveau spectacle solo d’Émile Proulx-Cloutier, au Gesù

Émile Proulx-Cloutier manie le verbe avec fougue. Il le triture, le chuchote et le scande, mais il le livre toujours avec une sincérité qui ne fait aucun doute, en s’impliquant avec tout son corps et toute son âme. Qu’il parle d’une relation à distance entre un grillon et une luciole ou d’un « enfant-scaphandre », qu’il chante une chanson d’amour ou de colère, qu’il raconte le parachutage de pianos pendant la Seconde Guerre mondiale, la montée du désir ou une allégorie de la catastrophe écologique, qu’il détourne les slogans publicitaires, évoque la disparition des langues autochtones ou le grondement des femmes, il réussit à être total sans être « trop », délicat et intense, au micro ou au piano, marquant le rythme avec ses pieds, accompagné de quelques effets sonores, enveloppé de doux éclairages qui créent une intimité bienveillante.

C’est un spectacle entier auquel il est difficile de ne pas adhérer, qui descend parfois dans les profondeurs, mais qui tire surtout vers une lumière bienvenue, qui appelle à la communauté, à l’entraide, à la trêve.

« Je pense qu’on va avoir besoin de bras, je pense que je vais avoir besoin de bras », chante-t-il vers la fin, comme une sorte de résumé de sa pensée. Et pour répondre aux applaudissements plus que nourris : « Je voulais juste vous dire que si vous croisez la beauté, attrapez-la, et donnez-la. » Message reçu.

Un album ?

Émile Proulx-Cloutier ira certainement en studio enregistrer un nouvel album « dans un avenir pas trop lointain », mais il n’a aucune date écrite dans son agenda pour l’instant. Et À mains nues n’est surtout pas une tournée de rodage pour tester ses nouvelles chansons.

« J’en ai plein d’autres qui ne sont pas dans le spectacle parce qu’elles ne cadraient pas. L’album, ce sera une autre création. » C’est de la scène qu’il avait besoin, et dans cette tournée qui le mène aux quatre coins du Québec, il sent que le public avait soif autant que lui de se retrouver dans un lieu « où il y a du commun qui se partage ».

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Première du nouveau spectacle solo d’Émile Proulx-Cloutier, au Gesù

« Comme je suis dans une formule dépouillée, j’entends ce qui se passe pendant les tounes, pas juste les rires, mais aussi les souffles qui se retiennent, le soulagement, l’étonnement. J’entends l’orchestre des petites voix imprévisibles qu’est la foule, et ce que je perçois, c’est que ça fait du bien aux gens. »

Jeudi soir, gageons qu’il a senti battre le cœur du public à l’unisson, et qu’il a apprécié la densité de l’écoute. En début de spectacle, Émile Proulx-Cloutier disait qu’il rêverait d’être capable de fabriquer des choses de ses mains. Ce qu’il construit est peut-être intangible, pourtant il laisse une trace. Par sa chaleur, sa pertinence, sa foi en l’humanité et sa confiance en l’intelligence des gens, il nous rend tous un peu meilleurs. C’est beaucoup, et c’est rare.

Consultez le site d’Émile Proulx-Cloutier