Les salles de spectacle ont renoué cette semaine avec leurs premiers spectateurs. Mais pour les artistes qui exercent un art très physique comme le cirque, cette relance doit être gérée avec prudence.

L’acrobate Nadine Louis est formelle. Pour les artistes de cirque, le retour à la scène doit se faire avec précaution lorsque la pause a été très longue, comme cela a été le cas lors de la première fermeture des salles de spectacle. Si certains acquis ne se perdent pas, la masse musculaire et le cardio n’y seront pas forcément, estime l’artiste qui accumule 32 ans de carrière, à la contorsion et au mât rotatif, notamment.

« La première fois que je suis revenue sur scène après le premier confinement, je me suis cassé une dent ! En cirque, si on arrête durant une période significative, la reprise doit être graduelle et bien planifiée. Si les conditions sont trop chaotiques, il y a des risques de blessure », dit celle qui retrouvera les planches cette semaine dans le spectacle Celeste, présenté par le Cirque Éloize au Fairmont Le Reine Elizabeth.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Nadine Louis

Heureusement pour Nadine Louis et ses collègues, la dernière pause ne s’est pas étirée indûment. Les salles ont été fermées par la Santé publique le 20 décembre, elles ont rouvert le 7 février. Mais plusieurs lieux d’entraînement ont pu rester ouverts durant cette période, ce qui n’était pas le cas lors du premier confinement.

Des désertions

N’empêche, les deux ans de pandémie ont laissé le milieu circassien exsangue. De nombreux acrobates et techniciens ont choisi de réorienter leur carrière, indique Nadine Louis. Un énoncé qui se confirme à la lecture d’un sondage mené l’automne dernier par En Piste, regroupement national des arts du cirque. On y apprend que près d’un répondant sur deux songeait à contrecœur à quitter le milieu des arts du cirque, avait mis sa carrière en veille ou avait quitté définitivement le secteur.

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Annie-Kim Déry

« On a perdu pas mal de monde dans le milieu du cirque », admet Annie-Kim Déry, qui présente un duo de patinage acrobatique dans Celeste. « Il y a des gens qui se sont réorientés, d’autres qui ont quitté le Québec, car il n’y avait plus d’emploi ici. Je connais plusieurs duos qui se retrouvent séparés après avoir travaillé ensemble longtemps. »

On a perdu des spécialistes, comme des porteurs pour les duos de trapèze ou des numéros de main à main.

Annie-Kim Déry, artiste de cirque

« Il y a eu beaucoup de dépressions dans le milieu, ajoute l’acrobate de 38 ans. Certains ont dû vendre des biens pour pouvoir payer leur loyer ! D’autres ont dû mettre de côté leur rêve d’acheter une maison... »

Toujours selon le sondage réalisé par En Piste, 43 % des répondants ont dit en effet vivre de la dépression et de l’anxiété, tandis que 39 % ont affirmé ne pouvoir exercer pleinement leur métier, l’arrêt de l’entraînement et des spectacles ayant provoqué des problèmes physiques ou psychologiques.

S’entraîner sans but

Nadine Louis et Annie-Kim Déry ont choisi de s’accrocher et de ne pas quitter le métier. Mais les deux dernières années ont mis leur moral à rude épreuve.

Pour Nadine Louis, qui a dû quelques fois mettre son art en veilleuse (notamment pour ses trois grossesses), aucune pause n’a été aussi frustrante ou éprouvante que celle imposée par la pandémie.

Lorsque la COVID-19 a étendu sa chape de plomb sur le monde des arts, en 2020, Nadine Louis avait plusieurs projets excitants à l’horizon, dont une tournée mondiale avec un cirque pour les tout-petits et une collaboration avec Les 7 Doigts. « Tout a été annulé. Ç’a été d’immenses déceptions. »

« Avec trois enfants de 3, 8 et 13 ans, ma maison s’est transformée en garderie et en école… », dit Nadine Louis. Comment s’entraîner dans ces conditions ? « Honnêtement, c’était très difficile. C’est décourageant de s’entraîner sans but, sans rencontre avec les autres artistes. »

« Pour plusieurs, si aucun projet ne doit aboutir, l’entraînement est ressenti à la longue comme une chose insensée, poursuit Nadine Louis. Le cirque, c’est un art, un mode d’expression, un mode de vie aussi. L’artiste scénique qui s’exécute en huis clos ne dialogue plus avec les autres : il finit par avoir la sensation absurde que son activité s’apparente plus à la schizophrénie qu’à autre chose ! »

Un ouverture qui perdure

La seconde fermeture des salles, survenue la veille de la première de Celeste, a été particulièrement difficile à digérer, dit l’artiste de 44 ans. « Tout reprenait enfin. On a été freinés en plein élan. »

Cette fois, la réouverture des salles semble assurée, si on se fie au calendrier dévoilé par le gouvernement Legault. N’empêche, entre l’annonce gouvernementale de la réouverture des salles, le 25 janvier, et la première de Celeste, le 17 février, il n’y avait que trois petites semaines pour remettre le spectacle sur les rails.

« C’est suffisant, même si chaque semaine est cruciale, lance Annie-Kim Déry. On ne repart pas de zéro. Il nous reste à mettre un peu de dentelle dans tout ça, mais nous serons prêts ! »