L’incertitude règne toujours quant à la réouverture des salles de spectacles, qui ont été fermées avant Noël pour la troisième fois depuis le début de la pandémie. Mais au-delà d’une date précise de reprise, les acteurs du milieu culturel demandent davantage de prévisibilité, et surtout à être consultés pour la suite des choses.

« Est-ce qu’on va jouer à ce jeu-là encore longtemps ? Est-ce qu’il faut prévoir que nos programmations de l’hiver 2023, on ne les fera assurément pas parce qu’on va être encore dans le même bateau ? »

Directeur du Théâtre Gilles-Vigneault à Saint-Jérôme, David Laferrière est président de l’association RIDEAU, qui regroupe 350 salles, festivals et diffuseurs de spectacles. S’il comprend que la situation est critique et qu’il faut suivre l’évolution des cas, il comprend moins pourquoi, à la cinquième vague de la pandémie, on en est encore au stade de l’« action-réaction ».

Il serait sain qu’on soit invités à réfléchir avec les instances. Parce que là, les mesures unilatérales qui englobent tous les secteurs de la vie culturelle et les différents modèles d’affaire qu’on retrouve en arts vivants, qui vont du café-théâtre de 80 places au Centre Bell, ça ne tient plus la route.

David Laferrière, président de RIDEAU

David Laferrière demande donc de l’ouverture et de la souplesse, et aussi « une volonté réelle d’affirmer haut et fort » que les lieux culturels sont des endroits sûrs. « Parce que c’est le cas. »

Même s’il y a des contacts entre les acteurs du milieu et le cabinet de la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, c’est le « vide total » par rapport au plan de sortie, « qui n’est pas aussi près de nous que l’on pense », a-t-il réalisé avec la montée d’Omicron.

« On ne sait rien, et ce qu’ils savent, ils ne le partagent pas. Au début de la pandémie, il n’était pas souhaitable de réunir les gens autour d’une table, et le milieu a été très solidaire. Mais là, je pense qu’il faut écouter ce qu’on a à dire. Ça va prendre un peu de vision et de leadership pour notre grand milieu. »

Au bureau de la ministre, la réponse à la question de la prévisibilité à long terme reste très générale.

« Les discussions se poursuivent concernant l’ouverture des salles de cinéma et de spectacles. Nous avons dû annoncer des mesures difficiles pour ralentir la cinquième vague et la situation n’est pas encore stabilisée », a répondu l’attachée de presse de Mme Roy, Elizabeth Lemay.

« C’est cependant notre souhait de rouvrir ce secteur d’activité aussitôt que la situation le permettra. D’ici là, notre gouvernement continuera de soutenir les partenaires du milieu artistique, notamment avec la mesure d’aide à la billetterie. »

«  Il y a un découragement profond »

À court terme, il est évident que les spectacles de janvier sont reportés, même si toutes les salles ne l’ont pas annoncé encore. Michel Sabourin, porte-parole de l’Association des salles de spectacles indépendantes du Québec (ASSIQ) et copropriétaire du Club Soda, n’entrevoit pas un retour rapide en salle. Des spectacles d’humour et de musique sont toujours au calendrier pour les mois de février et mars – « On avait un nombre de représentations et des ventes exceptionnels » –, mais les gestionnaires et les producteurs ne se bercent pas d’illusions.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Sabourin, porte-parole de l’ASSIQ

Je ne vois pas comment le gouvernement, étant donné la situation actuelle dans les hôpitaux, pourrait nous donner de la prévisibilité. Je serais très inquiet de rouvrir. Est-ce que le public serait au rendez-vous ? Est-ce que les travailleurs vont revenir ? Je n’en suis pas sûr.

Michel Sabourin, porte-parole de l’ASSIQ

Le président du Club Soda ne réclame pas une date précise de réouverture, mais un plan à moyen et à long terme de Québec pour soutenir les jeunes : ceux qui composent les artistes, les artisans, les employés et le public.

« Est-ce qu’on va être capable de les retrouver ? Il y a un découragement profond, un sentiment de désintérêt amplifié par la pandémie. C’est ça qui m’inquiète. Est-ce qu’on est en train de perdre ce qu’on a bâti depuis 20 ans ou 30 ans ? C’est la question qu’on devrait se poser actuellement. »

Les salles indépendantes, note M. Sabourin, n’ont pas eu de nouvelles du gouvernement depuis le temps des Fêtes et se sentent « isolées ».

Ne pas briser le lien de confiance

« Ce qui m’inquiète le plus, c’est la relation qu’on a avec nos clients. On veut que le lien soit le plus clair possible, que ce lien de confiance là, qui est déjà hyper amoché, ne se brise pas à tout jamais », souligne David Laferrière.

« Non seulement on va avoir des problèmes de main-d’œuvre, mais l’enjeu numéro un, c’est de garder la confiance du public », renchérit Catherine Simard, de La maison fauve, qui représente des artistes comme Vincent Vallières, Patrice Michaud et Dominique Fils-Aimé.

Qui va acheter un billet pour dans un mois en 2022 ? Ça commence à être très inquiétant et dommageable, les changements constants.

Catherine Simard, de La maison fauve

Elle croit, elle aussi, que sans pouvoir tout prévoir, une consultation du milieu pourrait déboucher sur des balises qui lui permettraient de mieux s’adapter.

« Ce qui est important, c’est de sécuriser le public. Sérieusement, l’automne dernier, ça m’a tuée quand on a ramené la capacité des salles à 100 % sans nous consulter. Comme si c’était une bonne nouvelle. On est encore en pandémie, est-ce que les gens ont le goût d’aller dans une salle où leur bras touche à celui du voisin ? Où la personne à côté peut enlever son masque et siroter sa bière toute la soirée ? Voyons donc ! »

Plutôt que d’ouvrir trop rapidement sans plan d’action, Catherine Simard espère que l’on consultera les associations comme RIDEAU ou l’ADISQ pour définir des approches à long terme. Les changements constants de jauge et de distanciation, qui ont été « une catastrophe », n’ont plus leur raison d’être.

« Est-ce qu’on peut se dire qu’à partir de février, le passeport vaccinal va être rendu à trois doses, que les gens vont devoir garder le masque en tout temps, que les bars vont être fermés, qu’on aura une place libre entre chaque bulle, dans toutes les salles jusqu’à la fin de la COVID ? Est-ce qu’on peut avoir une vision ? »

Quel risque ?

Il y a aussi des problèmes urgents à régler, rappelle Martin Roy, PDG du Regroupement des évènements majeurs internationaux (REMI). « Ce qui m’inquiète, ce sont les évènements d’hiver. » Il rappelle qu’Igloofest a été annulé à moins de trois semaines du début de l’évènement.

« Imaginez, à 17 jours de l’ouverture, ils avaient déjà engagé beaucoup de dépenses, mais n’auront pas les revenus en conséquence. C’est la catastrophe financière, l’exemple le plus dramatique. »

Il faudra donc une aide particulière pour « ceux qui souffrent en ce moment d’Omicron », dit-il. Mais pour la suite, Martin Roy aimerait bien voir des « données probantes » qui prouveraient que les lieux culturels ne sont pas des endroits sûrs, et que les contacts y sont à risque. « On n’a toujours pas fait la démonstration de ça. » La ministre elle-même a vanté le comportement exemplaire du milieu, rappelle-t-il.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Roy, PDG du REMI

Comment pouvons-nous être si exemplaires, et si vulnérables dès que les chiffres montent ?

Martin Roy, PDG du REMI

Il espère que le passeport vaccinal à trois doses permettra d’ouvrir certains secteurs rapidement.

« Et qu’on n’attende pas que tout le monde soit vacciné à 90 % ou 100 %, qu’on ouvre avant pour ceux qui sont déjà à trois doses ! Pas cette semaine, la situation est hors de contrôle, mais dans trois ou quatre semaines. »

Ce qui est certain, alors que le Conseil des arts et des lettres du Québec fait l’impossible pour répondre aux demandes du milieu, c’est que la balle est maintenant dans le camp du politique, estime David Laferrière.

« On doit voir ensemble comment on peut passer dans les prochains cycles qui nous attendent. Ça devient de plus en plus absurde de fermer unilatéralement tous les lieux culturels en premier et ensuite de compenser avec des sous. On n’en est plus là. On en est à préserver la santé mentale des gens, et leur offrir concrètement, en temps de crise, la culture pour passer à travers cette affaire-là. »