Déroutant, poétique, émouvant… La TOHU réussit pour un instant à freiner la course du temps avec la présentation d’Instable, un spectacle d’une rare pureté signé par la troupe française Les Hommes Penchés.

Au départ, il n’y a rien, ou si peu. Des planches de bois posées à la va-comme-je-te-pousse sur de vieux pneus. Quelques clous qui dépassent çà et là. Des bouts de poteaux en métal qui traînent dans un coin. On se croirait dans un garage désaffecté, pas sur une piste de cirque.

Un homme (Nicolas Fraiseau) descend des gradins pour tester la solidité de ces planches branlantes. Et c’est là que tout devient magique. Tel un Sisyphe condamné à pousser sa pierre jusqu’à la fin des temps, l’acrobate s’échine à tenter de faire tenir sur le sol bancal les différents morceaux de son mât chinois. La tâche est ardue ; l’homme tombe souvent et lourdement, pour le plus grand plaisir des enfants (et la crainte des parents, qui se disent que tout ça va mal finir.)

Le sol se dérobe souvent sous ses pieds, les clous sautent. On croirait que l’acrobate doit affronter une mer de contreplaqués déchaînée. On l’entend souffler, entre deux regards complices à la foule qui a bien besoin d’être rassurée.

Il faut le dire, Instable baigne dans une ambiance un tantinet anxiogène. Ces chutes à répétition finissent par inquiéter. Qui plus est, aucune musique ne vient alléger l’atmosphère ni donner à l’ensemble un semblant d’effet de facilité. Seuls quelques effets sonores glaçants viennent ponctuer le spectacle. Pour le reste, on n’entend que l’homme qui peine et le bruit du métal qui cogne le sol avec fracas. On ne peut qu’être happé par la beauté à la fois comique et tragique de ce qui se déroule sur scène…

Lorsque l’acrobate réussit enfin à solidifier ce mât maudit, les effets de la gravité semblent s’estomper pour faire place à un ballet aérien gracieux. Nicolas Fraiseau tournoie autour du métal comme en apesanteur, réussissant à échapper au sol, qui ondule par on ne sait quelle magie et qui semble prêt à avaler quiconque y posera le pied.

La finale est à l’image de ce spectacle hors norme : d’une grande simplicité. Droit comme un i au sommet de son mât, tel un marin dans sa vigie, l’acrobate en sueurs scrute l’horizon qui s’ouvre enfin devant lui. Ses efforts n’auront pas été vains. Dans la salle, le silence est total et l’émotion, palpable.

C’est, à n’en pas douter, un grand moment de cirque auquel le public est convié à la TOHU. Que tous ceux qui ont besoin de beauté en ces temps incertains en soient informés.

À la TOHU, jusqu’au 5 décembre.

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