Il est fort joli, le tableau qu’offrent les Ballets jazz de Montréal (BJM) avec Vanishing Mélodies, qui se déploie sur la superbe et prenante musique de Patrick Watson. Mais est-ce que la proposition convainc ? Pas totalement.

Pas de doute, Vanishing Mélodies devrait, comme Dance Me, pièce en hommage à Léonard Cohen, séduire un large public au-delà de nos frontières, comme en témoignait cette ovation spontanée, en ce deuxième soir de représentation, mercredi, de la salle remplie à craquer, nouvelles mesures sanitaires le permettant, du Théâtre Maisonneuve.

Pour souligner les 50 ans d’existence de la compagnie, BJM fait les choses en grand, et il n’est pas étonnant que Danse Danse en ait fait la pièce phare de sa programmation pour la saison. Cette œuvre qui réunit les 15 danseurs de la troupe dans une enfilade de solos et de duos joliment exécutés, ou en grands mouvements de groupes bien synchronisés, a tous les ingrédients pour charmer, si on y ajoute la musique éthérée et sensible de Patrick Watson, et la touche de deux chorégraphes de talent, Juliano Nuñes et la Québécoise Anne Plamondon, le tout sous l’égide d’Éric Jean, qui agit ici à titre de directeur de création et de metteur en scène, comme il l’avait fait pour Dance Me.

Esthétiquement, c’est très réussi. Les costumes, déclinés en teintes de bleu et de vert, sont élégants. L’éclairage, tout en modulations, habille bien la scène, sublime les corps des danseurs.

La scénographie est bien pensée, avec ses trois grandes structures qui encadrent sobrement la scène, avec l’écran de projection en arrière-scène, utilisé de multiples et ingénieuses façons, et avec comme principal élément de décor un abribus sur roulette qui se métamorphose au gré des tableaux.

Plongée dans les abysses de la mémoire

PHOTO SASHA ONYSHCHENKO, FOURNIE PAR DANSE DANSE

Vanishing Mélodies est une proposition hybride, entre le théâtre et la danse.

C’est à une proposition hybride, au côté théâtral affirmé, que nous convie la compagnie avec Vanishing Mélodies, alternant entre monologues et scènes dansées.

Les tableaux se succèdent, tous liés par un fil conducteur : une femme (les comédiennes Brigitte Saint-Aubin ou Louise Cardinal) qui apprend par un « homme en sarrau blanc » qu’elle est atteinte d’alzheimer. « Dégénérescence. Érosion », répète-t-elle, hébétée. Une nouvelle qui bouscule son existence et la replonge dans ses souvenirs, comme autant de pièces détachées de sa vie qu’elle voit tomber une à une. Les chansons du chanteur et compositeur montréalais Patrick Watson viennent ponctuer l’action, alors qu’elle erre, à la recherche d’une chose à laquelle s’accrocher pour ne pas sombrer.

Le thème de l’eau, probante, se glisse ainsi un peu partout, dans les couleurs des costumes, dans cet abribus qui se transforme en aquarium – un très beau tableau –, dans l’image du scaphandrier qui revient de façon récurrente, évoquant cette sensation qu’a la protagoniste de s’enfoncer dans les profondeurs abyssales de sa mémoire.

La gestuelle accompagne bien la musique. Ondulante et courbe, elle devient parfois angulaire, aux lignes brisées, traversée de crispations et de tremblements. Mais, au bout du compte, les chorégraphes nous offrent surtout une danse lyrique, parfois acrobatique, où les jambes ciselées fusent vers le ciel, avec de nombreux pas de deux, des corps qui s’imbriquent et s’enlacent. Les danseurs – surtout les danseuses – deviennent des extensions de la protagoniste, des reflets d’elle-même, se dédoublant de façon kaléidoscopique.

Mais est-ce que la synergie opère réellement entre cette histoire, la danse et la musique de Patrick Watson ? Partiellement.

On avoue ne pas avoir été totalement convaincue par cette proposition. Pourquoi coller, de façon qui nous a semblé parfois un peu plaquée, souvent littérale, cette histoire par-dessus la musique déjà si évocatrice de Patrick Watson ? Comme s’il fallait absolument accoler des mots (ceux du dramaturge Pascal Chevarie) par-dessus la poésie de Watson, si unique et si belle.

Évidemment, les thèmes explorés par Vanishing Mélodies ne sont pas sans lien avec ce que Watson évoque dans ses pièces musicales : l’enfant en soi, le motif récurrent de l’eau, la forêt, la plongée en soi-même, ce côté surréaliste qui touche au merveilleux. Tout ça, la pièce réussit somme toute à bien le transmettre.

Mais, finalement, on se demande si l’ajout de cette partie théâtrale était vraiment nécessaire. Ce fil conducteur narratif rend sans aucun doute la proposition très accessible. Mais on y perd par la bande une certaine cohésion dans le ton, une profondeur dans la gestuelle, qui reste dans les mêmes modulations, sans trop s’aventurer, et une charge émotive dans l’interprétation, comme si les interprètes ne devenaient que des accessoires au service d’une histoire, aussi belle et touchante soit-elle.

Vanishing Mélodies

Vanishing Mélodies

Les Ballets jazz de Montréal avec la musique de Patrick Watson

Théâtre Maisonneuve, Les 2 et 6 novembre

6/10