Au plus fort de la pandémie, les plateformes de captation et de webdiffusion auront accompli leur mission : garder la culture vivante. Mais alors que l’orage semble passé, que la plupart des festivals, plateaux télévisés et salles de spectacles retrouvent graduellement leur public, qu’adviendra-t-il des Livetoune, Livedanstonsalon et Yoop ? Elles ne sont pas près de fermer, a constaté La Presse.

« Au départ, on pensait que ça durerait trois mois, six mois. Maintenant, on se rend compte, presque un an et demi plus tard, que c’est là pour de bon. Les artistes répondent présent, le public aussi », affirme en toute assurance Dany Laliberté, coproducteur de Livedanstonsalon.

À voir son site, la plateforme semble rouler bon train. Laurence Jalbert, la comédie musicale Elton Songs, Tocadéo avec Marc Hervieux et Annie Villeneuve : la programmation des prochaines semaines est comparable à celle de plusieurs salles de spectacles.

Depuis qu’elle a converti ses entrepôts en plateau de tournage, en novembre dernier, la petite équipe de producteurs de spectacles et de fournisseurs audiovisuels qui s’était soudainement retrouvée sans contrat a capté et webdiffusé plus de 80 spectacles. Au départ, Livedanstonsalon souhaitait offrir une solution de rechange de qualité supérieure aux spectacles virtuels qu’improvisaient les artistes dans leur salon.

Ça devait être un gagne-pain temporaire, mais la plateforme a mis le doigt sur un besoin que plusieurs soupçonnaient. Avant la pandémie, l’occasion de l’éprouver ne s’était simplement jamais présentée.

Selon un récent sondage de Patrimoine canadien et du Conseil des arts du Canada, 14 % des Canadiens ont découvert les webdiffusions pendant la pandémie. Par ailleurs, près de la moitié (48 %) des répondants ont participé à des évènements artistiques en ligne au cours de la dernière année et demie.

Le public en région, où l’offre culturelle est plus limitée, les personnes âgées qui peuvent difficilement se déplacer, les curieux qui préfèrent « tester » un artiste en virtuel (et à moindre coût) avant de le voir en salle... : toutes ces personnes ont profité des plateformes comme Livedanstonsalon, fait remarquer Dany Laliberté, qui ne voit pas pourquoi la demande ralentirait après la pandémie.

PHOTO MARIE-ÉLAINE PITRE, FOURNIE PAR YOOP

L’auteur-compositeur-interprète Louis-Jean Cormier dans l’espace Yoop à la Place des Arts

Du côté de Yoop, le mystère plane toujours sur ce que deviendra le pendant virtuel du distributeur évènementiel, l’espace Yoop, qui a été un acteur important pendant la pandémie. Son fondateur, Benoit Fredette, assure que la plateforme numérique continuera de rouler, sans pour autant préciser la forme qu’elle prendra.

Investir dans le numérique

Au Québec, il y a une plateforme de captation et de webdiffusion qui existait bien avant la pandémie. Créée en 2012 par Guillaume Lombart, un éditeur musical, Livetoune se voulait un outil de promotion pour les artistes québécois. Au départ, ils étaient deux passionnés dans le projet. Depuis la dernière année et demie, ils ont triplé le nombre d’employés.

« [La demande] pour les captations a explosé. D’un coup, tous les concerts ont été annulés, et tout le monde m’a appelé pour me demander si j’avais une solution ! », se souvient M. Lombart.

PHOTO VICTOR DIAZ, FOURNIE PAR GUILLAUME LOMBART

Guillaume Lombart, président de Livetoune

Il a pris le pari de mettre sur pied une billetterie numérique. Il s’est aussi équipé en personnel et en matériel avec de nouvelles caméras, régies de diffusion, voitures... le tout pour un investissement global de presque 300 000 $.

Au cours des six derniers mois, Livetoune a réalisé plus de 250 captations. Le jour même où La Presse s’est entretenue avec son fondateur, trois spectacles étaient prévus au programme.

Les captations vont continuer. Beaucoup de festivals, artistes et salles de spectacles ont compris que ça rapportait des revenus supplémentaires intéressants, surtout que [le public] n’est toujours pas de retour à pleine capacité [dans toutes les salles].

Guillaume Lombart, président de Livetoune

Cette année, les Francos de Montréal et le Festival international de jazz de Montréal ont tous deux capté et webdiffusé gratuitement, pour la première fois, les performances des artistes. Pour Maurin Auxéméry, gestionnaire principal, programmation, concerts et évènements de L’Équipe Spectra, le calcul était simple.

« Avant la pandémie, on ne s’est jamais posé la question de savoir si on allait mettre le festival sur l’internet ou pas. Dans le contexte actuel, on utilisait un espace qui pouvait accueillir 10 000 personnes avec 2500. On perdait une capacité énorme. Notre idée était de compenser cette perte de capacité par les diffusions. »

Au terme des deux évènements, il croit l’exercice réussi. Et il compte le répéter l’année prochaine.

« Nous, on fait du live. On est là pour voir des humains sur une scène. En même temps, pourquoi ne pas diffuser ces évènements-là et en faire profiter à ceux qui n’ont pas pu se déplacer ? [...] Oui, c’est une opération complexe avec la captation, le mixage, les droits d’auteur... mais c’est un complément d’offre qui est l’fun et maintenant essentiel. »

Trouver son créneau

Yoop, Livedanstonsalon, Livetoune... Quelles plateformes survivront à l’épreuve du temps ? Guillaume Lombart mise sur celles qui se démarqueront par leur contenu de qualité, auquel le public pourra s’identifier. Surtout, elles devront se trouver un créneau.

La programmation de Livedanstonsalon, par exemple, a été pensée pour plaire à un public de 45 ans et plus, les 18-35 ans étant peu friands de ce genre de contenu. Et jusqu’ici, ça marche, se réjouit son coproducteur, Dany Laliberté.

« Notre modèle est viable. Je pense que tout est une question de bien choisir ses artistes et d’avoir une bonne base d’abonnés, dit M. Laliberté. On a la chance d’avoir des abonnés très fidèles, qui en veulent toujours plus. Je dis souvent à la blague qu’ils vont nous suivre jusqu’au Jugement dernier ! »