On attendait son appel à 13 h, il était 13 h 15 quand le téléphone a sonné. « Salut, m’entends-tu bien ? Je viens juste d’avoir des barres… Je suis dans Matapédia, et il n’y avait pas de signal depuis tantôt. »
Vincent Vallières est seul au volant de sa voiture et, malgré ce petit désagrément, il est de bonne humeur et a tout son temps pour parler. La veille, il a donné un spectacle à Témiscouata-sur-le-Lac, il se dirige vers Paspébiac, où il doit chanter le soir même, et a encore quelques heures de route devant lui.
« Tantôt, je me suis arrêté à Lac-des-Aigles parce que mon GPS n’avait plus de réseau… encore. Je voulais être sûr d’être sur le bon chemin vers Paspébiac, et la fille du dépanneur m’a dit : “Oh, tu t’en vas vraiment loin !” Mais moi, dans ma tête, c’est une p’tite journée au bureau, faire quatre, cinq heures de route. »
Après avoir passé plus de 20 ans à arpenter le Québec dans un camion de tournée avec musiciens et techniciens, l’auteur-compositeur-interprète a eu envie de pousser encore plus loin l’expérience en solo en voyageant seul. Une façon, explique-t-il, de continuer le cheminement plus introspectif entamé avec l’écriture des chansons de son plus récent album sorti au printemps, Toute beauté n’est pas perdue.
« Ma compagnie de spectacle m’a dit que je pourrais avoir un technicien avec moi mais, tsé, j’ai trois guitares, je pense que je peux m’en occuper seul. J’avais le désir de vivre la route de façon plus intérieure. La bulle du véhicule de tournée est magique et magnifique, mais ce n’est pas la même chose que ce que je vis présentement. »
Seul un sonorisateur, qui se déplace en moto et qui fait office de directeur de tournée, vient le rejoindre à chaque endroit où il joue. Ses journées sont ainsi rythmées par la routine du spectacle, arrivée en ville en solitaire, test de son, petit jogging avant ou après « pour prendre le pouls du lieu ».
Aujourd’hui, ça va être plus serré, mais j’essaie toujours d’arriver au moins deux heures d’avance. Sinon, c’est vite juste une chambre d’hôtel, une salle, un resto, une chambre d’hôtel, et tu ne vois rien passer.
Vincent Vallières
La scène, les lieux, les rencontres… c’est un mélange de tout ça qui lui a manqué pendant la pandémie. Parce que c’est le spectacle qui mène aux histoires « souvent belles et intéressantes » qui se retrouvent ensuite dans ses carnets de tournée publiés sur sa page Facebook, dont l’écriture s’est ajoutée à sa routine.
Consultez la page Facebook de Vincent Vallières« Ça m’était déjà arrivé de traîner un cahier dans d’autres tournées. Je n’ai aucune idée pourquoi j’ai commencé à publier, mais ça s’est mis à cycler mes journées et j’ai aimé ça. C’est le fun à faire, ça peut aller n’importe où, parler du territoire, de la route, des gens, ou d’autre chose qui arrive quand on est en chemin. »
Territoire
Lui qui n’est pas « foncièrement » de nature contemplative, Vincent Vallières se laisse émouvoir par le paysage qui se déploie devant lui depuis le début de sa tournée.
Je suis plus du genre à m’animer dans le territoire qu’à le regarder. Mais c’est une beauté qui m’émeut, je ne sais pas pourquoi, c’est peut-être où je suis rendu dans ma vie. Tantôt, je sais que je vais déboucher vers New Richmond. C’est tellement beau, ça porte.
Vincent Vallières
Il n’a pas l’impression tant de redécouvrir le Québec, parce qu’il a déjà visité la plupart des lieux plusieurs fois, que d’en « approfondir la connaissance ».
Ce qu’il aime : jaser avec « un vieux monsieur gentil » à Montmagny, qui l’aborde pendant qu’il est en train de photographier une usine où il a travaillé toute sa vie. Rencontrer les bénévoles de Piopolis qui sont derrière l’organisation de son spectacle à l’église du village. Retrouver son ami Michel devenu diffuseur à L’Anse-à-Beaufils. Plonger dans ses souvenirs à Trois-Rivières ou à Petite-Vallée. Ressentir la vibration des festivals. Visiter un disquaire indépendant à Rimouski, une microbrasserie à Rivière-du-Loup, une boulangerie artisanale à Sainte-Anne-des-Monts, et constater le dynamisme d’un Québec en mouvement.
« La route, je la prends pour vivre ces moments-là. On dirait que plus je vais loin, plus je vois l’aventure avec intérêt. »
Retrouvailles
Ne pas faire de spectacle pendant un an a rappelé à Vincent Vallières à quel point il aimait son métier, et qu’il s’en était ennuyé.
« Ce n’est même plus des considérations de savoir quand les salles vont être pleines ! C’est juste : “Ah, il y a des gens qui sont là, et qui sont emballés de sortir !” Et cette rencontre a lieu tous les soirs. Hier, à Témiscouata-sur-le-Lac, c’était le premier show depuis février qui se donnait dans cette salle ! On est encore dans cette période de retrouvailles. »
Cette tournée qui vient de prendre son envol et qui le mènera partout au Québec, au moins jusqu’en mai 2022, avait été planifiée en solo bien avant le choc de la COVID-19. « Je n’aime pas ça quand on dit que c’est une tournée de pandémie ! On l’avait réfléchie avant, avec une vraie mise en scène d’Alexia Bürger. L’idée était d’aller rencontrer les gens avec ma guitare. »
Ce qu’il fait avec un plaisir évident, avalant les kilomètres au volant de sa voiture.
Je te le dirais si je trouvais ça dull. Je le prends pour ce que c’est, la proximité et le plaisir qui viennent avec. La même chose avec la route.
Vincent Vallières
Et rouler des centaines de kilomètres pour aller se produire devant 80 ou 150 personnes ne le rebutera jamais, dit celui qui se perçoit comme un artisan.
« Cette vie itinérante m’absorbe dans un autre temps, un autre monde, et je vais à fond à l’intérieur de moi à travers ça. Si, un jour, il m’arrivait de me dire : “Je ne ferais pas quatre heures de route pour 100 personnes”, je choisirais un autre métier. Ce n’est pas la vibe de la vie que j’ai choisie. »
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