J’ai connu des spectacles de la fête nationale émouvants, ennuyants ou exaltants (surtout autour du référendum de 1995), et j’en ai raté plusieurs aussi, occupée ailleurs. Je ne donnais pas cher de celui de cette année, présenté en l’absence d’un public, pandémie oblige, et aussi parce que j’étais en surdose de prestations devant des webcams.

Or, j’ai été grandement impressionnée, et j’ai même ressenti un peu d’espoir pour les arts vivants, devant une prouesse technique qui pourrait donner des pistes de solution temporaires pour certains projets d’envergure. J’insiste sur le mot temporaire, car l’absence d’un public reste une terrible anomalie. Ce spectacle était époustouflant parce qu’il a réussi à transmettre une véritable atmosphère sans omettre cette absence criante du public, représenté par des lumières dans la salle qui étaient autant de spectateurs anonymes dont la fonction cruciale est justement d’éclairer l’art de leur présence.

PHOTO YAN TURCOTTE, LA PRESSE CANADIENNE

La culture québécoise a été célébrée comme elle se doit par une kyrielle d’artistes réunis sur la scène de l’Amphithéâtre Cogeco de Trois-Rivières pour interpréter de grands classiques de la chanson lors du spectacle de la fête nationale.

Le mérite revient beaucoup au réalisateur Jean-François Blais, qui a orchestré ce tour de magie, en bon spécialiste des codes et du spectacle, et de la télévision. Vraiment, chapeau. Un article de François Houde du Nouvelliste résume très bien le défi que représentait Tout le Québec à l’unisson, présenté sur les quatre grands réseaux, avec très peu de temps de préparation.

> Lisez l’article de François Houde

J’ai souvent été exaspérée par les programmes de chansons de la fête nationale (quelque chose qui empire plus vous en voyez). Pas assez de ci, trop de ça. Misère, pas encore celle-là. Mais mardi soir, je trouvais que chaque pièce choisie reflétait un sens nouveau dans les tristes circonstances que nous vivons – même l’increvable Y’a pas grand-chose dans le ciel à soir de Paul Piché, archi-usée. Ces trois derniers mois, oui, j’ai dansé dans ma tête, j’ai eu le blues de la métropole, j’ai oublié le jour, je ne voulais surtout pas que t’amènes ta gang, j’en ai eu plein mon cass, j’ai bu des shooters de fort, j’ai crié tout bas, et me suis demandé, « mais vivre », qu’est-ce que ça veut dire maintenant ?

Ce qu’on vient de traverser, sans savoir si c’est fini, m’a rendue émotive, comme tout le monde, et je recevais ce répertoire québécois autrement, comme lorsque des chansons qu’on n’entend plus se réactivent en nous quand arrive un deuil ou une peine d’amour. En plus, je suis comme bien des gens en difficile sevrage de shows.

Je ne tremble pas du manque, c’est juste que je ne vibre plus. Mais mardi soir, devant ma télé, j’ai enfin vibré un peu et ce, dès le départ quand Yannick Nézet-Séguin a lancé la fête avec l’Orchestre Métropolitain, sur des images d’archives mémorables. Et que dire des vues aériennes à couper le souffle autour de l’amphithéâtre de Trois-Rivières ? Comment ne pas être ému devant tant de majesté ?

J’en étais à ces réflexions, comme le chante Jean Leloup dans 1990, quand j’ai eu l’idée de génie d’aller voir ce qu’on disait sur les réseaux sociaux. On constate que rien ne change, malgré des milliers de morts de la COVID-19, un traumatisme collectif et un avenir encore incertain. Avec le hockey, il y a deux autres sports nationaux au Québec : taper sur le Bye bye et taper sur le spectacle de la fête nationale – pour ceux qui déchirent leur chemise parce qu’on ne dit pas Saint-Jean-Baptiste, rappelons que c’est en 1977 sous le gouvernement de René Lévesque qu’on a rebaptisé l’évènement fête nationale.

En tout cas, à la fête nationale, on tâte chaque fois le pouls de quelque chose qui aspire à être comme un grand peuple, mais on n’est pas d’accord sur bien des trucs. Chaque année, il y a de la chicane. Pas assez diversifié, trop multiculturaliste, pas assez politique, trop politique et puis là, l’affaire des drapeaux.

Résumons les scandales du show de 2020, en mettant de côté la barbe de Roch Voisine (je vais être transparente : je suis pro-barbe pour Roch, dont la beauté glacée me laissait de marbre à l’adolescence).

PHOTO YAN TURCOTTE, LA PRESSE CANADIENNE

Ariane Moffatt lors du spectacle de la fête nationale

 – Pierre Lapointe aurait aseptisé la chanson Rideau de Plume, en chantant « pis ceux qui sont pas contents » plutôt que « pis ceux qui sont en tabarnak ». Ariane Moffatt a tenté d’expliquer l’affaire sur Twitter, nous révélant que Pierre Lapointe avait dit le gros mot pendant toutes les répétitions, mais qu’il s’est trompé à l’enregistrement. Donnons-lui le bénéfice du doute, même si on comprend mal comment une telle phrase marquée au fer rouge peut s’oublier. Ça n’empêche pas bien des gens d’être en tabarnak contre Lapointe, mais je pense qu’ils auraient trouvé autre chose de toute façon.

 – Émile Bilodeau portait un macaron anti-loi 21 et c’est un peu comme s’il avait mangé en direct la tête d’une chauve-souris tel Ozzy Osbourne, à en lire certains. Ce n’est pas un crime d’être contre, on vit encore en démocratie, me semble. Quand un artiste prend position contre le gouvernement libéral à la fête nationale, ça chiale beaucoup moins.

 – Marie-Michèle Desrosiers, Luce Dufault, Marie-Mai et Ariane ont changé les paroles de Promenade sur Mars d’Offenbach en chantant « La femme que je suis quoi qu’elle en pense n’a pas accès, ni de près, ni de loin… ». Magnifique et à propos, rien d’autre à ajouter.

 – On a dit que nous étions sur des territoires autochtones non cédés, une formule qui en irrite plusieurs, même moi quand j’ai l’impression que c’est dit juste pour faire cool. Mais la réconciliation avec les Premières Nations est incontournable si on est un tant soit peu nationaliste, d’une importance capitale pour l’avenir, et cela a été souligné par l’extraordinaire Elisapie Isaac qui a chanté en inuktitut, ainsi que par Christine Beaulieu qui a récité les noms de cours d’eau du Québec dans les 11 langues autochtones qui les ont nommés pendant des millénaires avant qu’ils soient renommés en français. Ce qui élargit notre histoire collective.

 – Pas de drapeaux du Québec. Je ne l’avais pas vraiment remarqué, le show parlant de lui-même à mon avis et s’ouvrant sur des images de spectacles d’autrefois devant des mers de drapeaux. Mais Guy Nantel était très fâché. Martine Desjardins, dirigeante du Mouvement national des Québécoises et des Québécois, dont on connaît pourtant les allégeances politiques, s’est excusée en expliquant qu’on en distribuait chaque année aux spectateurs qui n’étaient tout simplement pas là. Elle a reçu des insultes d’une violence inouïe, inacceptable.

D’où vient tout ce fiel ? Est-ce que le taux d’approbation spectaculaire de François Legault, selon plusieurs firmes de sondage, explique ces engueulades sur un spectacle où des artistes ont affirmé des convictions dont plusieurs vont à l’encontre de politiques de la CAQ ? Certainement.

La fête nationale n’a jamais été apolitique, malgré ses efforts pour être non partisane. Celle-ci ne l’était pas non plus, contrairement à ce que disent ceux qui estiment qu’elle était vidée de sa substance, pour la simple raison qu’on y a exprimé des idées qui ne sont pas en accord avec les leurs. Car c’était quoi alors les textes de David Goudreault ? Les interventions de Fred Pellerin, Gregory Charles, Christine Beaulieu, Elisapie Isaac, Jim Corcoran ? Pour certains, une bouffée d’espoir, pour d’autres, un délire de la « gauche régressive ». Tout le Québec à l’unisson ? Pas vraiment. Mais dire que ce spectacle manquait de fierté, de patriotisme et d’amour pour le Québec d’aujourd’hui relève de la pure mauvaise foi.

Il s’est pourtant ouvert sur ces paroles de Jean Duceppe en 1990 : « Le Québec est notre seul pays ! » Ce qui est toujours vrai, en ce qui me concerne. Mardi soir, une foule d’artistes de tous les horizons me l’a rappelé de belle façon. Finalement, ma seule erreur aura été d’aller lire des messages haineux sur les réseaux sociaux. Et pour reprendre Plume, je suis bien ouverte aux commentaires, mais là, je pense que ça va me prendre un cognac.