C’est la première fois que le Cirque du Soleil se hasarde à titrer une de ses créations sous chapiteau avec plus qu’un mot — capable de se dire dans à peu près toutes les langues. Pour mémoire : Volta, Luzia, Amaluna, Kurios, Varekai, Corteo… et j’en passe.

Non, cette fois, ce sera Sous un même ciel, qui sera traduit dans autant de langues qu’il y aura de pays d’accueil — et que l’on peut voir un peu partout à Montréal dans une campagne d’affichage tous azimuts.

« On essaie quelque chose de nouveau, nous dit la directrice de création vétérane Chantal Tremblay. C’est un titre qui fait référence à l’aventure d’un spectacle sous chapiteau. Un spectacle où l’on est tous réunis sous un même toit, dans une même tente, connectés entre nous. Le public participera aussi au show en chantant », prévient-elle.

Pour ce nouveau spectacle, qui sera lancé le 23 avril prochain dans le Vieux-Port, le Cirque a fait appel à la scénographe et metteure en scène anglaise Es Devlin, en création dans ses studios montréalais depuis quatre mois.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Es Devlin

Il sera question de la relation symbiotique entre les hommes et les animaux, « connectés » l’un à l’autre jusqu’à ce que les humains s’éloignent d’eux et se « perdent dans leurs labyrinthes, leurs préoccupations et leurs écrans ». Les acrobates porteront des habits de papier blanc et des têtes d’animaux pour montrer cette connexion, a expliqué la metteure en scène, qui s’est dite « soufflée » de travailler avec des artistes de cirque.

« C’est la première fois que je travaille avec ces artistes qui sont si généreux et tellement conscients de chaque muscle de leur corps, parce que s’ils ne font pas exactement le bon mouvement, s’ils n’exercent pas la bonne tension, ça peut être fatal, et ça, c’est très impressionnant. Dans ce sens, ils sont très connectés à leur animalité. »

Mercredi, les médias ont pu voir quelques artistes à l’entraînement. Notamment un groupe de huit Éthiopiens qui feront des numéros acrobatiques et des portés (sans appareils), des pyramides humaines et d’autres jeux icariens. On a aussi vu à l’œuvre deux duos d’artistes qui feront une combinaison d’acrobaties au sol, de la banquine et du bungee.

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Au total, ils seront 48 artistes sur scène, dont sept musiciens. Parmi eux, six sont des femmes qui uniront leurs voix sur la musique de Jade Pybus et Andy Theakstone.

Sous un même ciel aura une touche féminine, on s’en réjouit. Il s’agit seulement du quatrième spectacle du Cirque en 36 ans à être dirigé par une femme (après Ovo de Deborah Colker, Amaluna de Diane Paulus et Luzia, commencé par Daniele Finzi Pasca et terminé par Brigitte Poupart). La directrice de la production est également une femme, Lucie Janvier. La chorégraphe principale est Lynne Page.

Marquer le coup

Mais revenons à Es Devlin. La scénographe, qui a fait sa marque au théâtre — elle a notamment fait les décors de The Lehman Trilogy, sur les origines du capitalisme, et travaillé avec le metteur en scène James Thierrée —, a aussi signé la scénographie des spectacles à grand déploiement de Beyoncé, Adele, Miley Cyrus, U2 ou The Weeknd.

Lorsque le Cirque a annoncé sa collaboration avec Es Devlin l’automne dernier, le vice-président à la création Daniel Fortin nous disait vouloir marquer un gros coup pour l’ouverture de cette nouvelle décennie.

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Selon Chantal Tremblay, c’est la signature visuelle et l’esthétique très contemporaine de la scénographe anglaise qui feront de Sous un même ciel un spectacle unique. Comment la scénographe anglaise s’y est donc prise pour « réinventer » le spectacle sous chapiteau ?

« Je ne voulais pas aliéner les fans de cirque qui viennent pour voir les prouesses du Cirque, nous a-t-elle répondu, mais j’ai travaillé fort pour y insuffler de la poésie. Une poésie cumulative, où les numéros sont liés entre eux de façon harmonieuse, reliés à une trame narrative aussi, qui est celle de cette relation particulière entre l’humain et l’animal, qui s’est finalement étiolée. »

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Es Devlin, qui travaille depuis 20 ans sur des sculptures scéniques empruntant la forme de cubes en mouvement, a conçu une énorme structure cubique pour Sous un même ciel.

« Au début, le cube sera plein, et les animaux s’y retrouveront en symbiose. Puis, la structure s’effritera et se détruira. C’est une façon de montrer comment la relation entre les hommes et les animaux s’est perdue. Mais à la fin, je voulais conclure sur une note positive, donc les murs vont se reconstruire à partir des corps des hommes et des animaux, pour recréer cette symbiose. »

« Des choses impossibles à faire »

Es Devlin, qui a notamment conçu le pavillon de la Grande-Bretagne pour l’Exposition universelle de Dubaï, s’est faite philosophe.

« Au théâtre, en musique, à l’opéra, dans les arts visuels, on se pose beaucoup la question : pourquoi devrait-on faire quoi que ce soit ? Pourquoi utiliser des ressources pour faire des choses, justement parce que peut-être on en fait trop ? Comme artiste, on a donc le devoir de se poser des questions sur la création. On doit se demander si ça vaut la peine de faire quelque chose, si ça fait vraiment du bien aux gens… »

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Puis, elle répond à sa propre question, avec cette déclaration d’amour aux acrobates. 

« Les acrobates font des choses impossibles à faire, ils nous rappellent que les êtres humains peuvent travailler de façon étrange ou mystérieuse, atteindre des buts qui nous paraissent impossibles. Je trouve que ça nous interpelle quand on se demande comment notre espèce humaine va parvenir à mettre en place les changements qui vont assurer notre survie. »

Du 23 avril au 21 juin, sous le chapiteau du Vieux-Port de Montréal

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