Il y avait une certaine fébrilité dans l’air mercredi soir pour la première du Fantôme de l’Opéra. Y aura-t-il un problème de son ? Un accident ? Un incendie ? On a craint un moment la malédiction du fantôme…

Après tout, cette première version française de la populaire comédie musicale signée Andrew Lloyd Webber et Charles Hart devait être présentée au Théâtre Mogador de Paris en 2016 pour célébrer ses 30 ans. Une idée de Lloyd Webber, qui voulait rendre hommage à l’auteur de l’œuvre d’origine, Gaston Leroux, qui a situé l’action de son roman policier, rappelons-le, à l’Opéra de Paris à la fin du XIXe siècle.

Mais voilà, à trois semaines de la première, en septembre 2016, un feu a ravagé la scène et le décor du théâtre parisien, qui a dû fermer (temporairement)… et la production a finalement été abandonnée.

C’est ce texte, traduit en français par Nicolas Engel, que Spectra Musique a repris et que l’Orchestre Azimut, mis sur pied par Alexis Pitkevicht, a accompagné en musique avec ses 40 musiciens provenant de différents orchestres montréalais, dirigés par Dany Wiseman dans cette « version concert », « testée » il y a un an et demi au Monument-National.

Premier constat : la traduction française va très bien au Fantôme. Et les paroles du livret dans la langue de Leroux se fondent parfaitement à cette musique, reconnaissable d’entre toutes, avec ses classiques Think of MeAngel of MusicThe Point of No Return, et bien sûr la pièce éponyme The Phantom of the Opera, interprétée avec maestria par ses deux vedettes : Hugo Laporte et Anne-Marine Suire — on y reviendra.

PHOTO FOURNIE PAR EVENKO

Frédérike Bédard et Sylvain Paré dans les rôles de Carlotta et Piangi.

Pas de grincements de dents donc, comme à l’écoute de Chantons sous la pluie (The Sound of Music) ou Nuits d’été (Grease)… Non, une traduction fluide, agréable à l’écoute, qui aurait dû se faire depuis belle lurette ! Et quel plaisir d’entendre enfin messieurs Firmin et André (les directeurs de l’opéra) s’exprimer enfin en français !

Mais revenons à cette « version concert ». La présence sur scène — plutôt que dans une fosse — des 40 musiciens, est certes réjouissante, l’orchestre y brille en effet de tous ses feux, mais il y a une conséquence majeure à ce choix : l’absence de décor. Vous me direz que ça va de soi, mais c’est décevant, en particulier dans les scènes souterraines, sur le lac du Fantôme, qui tombent à plat.

C’est donc dans sa tête qu’il faut se faire son… théâtre. Heureusement qu’il y avait des costumes colorés (conçus par Sylvain Genois), sinon on n’aurait même pas pu parler de comédie musicale…

Autre conséquence : l’espace de jeu limité, qui donne peu de possibilités au metteur en scène Étienne Cousineau — l’orchestre occupe vraiment toute la scène. Enfin, je ne sais pas si c’est parce qu’on était en « version concert », mais à peu près toutes les répliques étaient chantées, ce qui à la longue devient un tantinet irritant… et nous sort des conventions de la comédie musicale.

Les dialogues parlés permettent en effet au spectateur de bien se situer dans l’histoire, surtout quand le scénario est dense comme c’est le cas du Fantôme ; les répliques parlées sont aussi des respirations lorsqu’on est face à un flot ininterrompu de paroles chantées en mode opéra – quand même exigeant à l’écoute.

Bref, pourquoi ne pas dire certaines portions du texte au lieu de les chanter ? À bon entendeur…

Les voix principales du Fantôme sont à la hauteur et les connaisseurs d’opéra ne seront pas déçus. À commencer par le baryton Hugo Laporte, qui compose un Fantôme très puissant (et vulnérable par moments). Il le faut, d’ailleurs, puisqu’on l’entend souvent sans le voir. Si ce spectacle a une certaine force et une cohésion, c’est beaucoup grâce à lui.

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Anne-Marine Suire est LA révélation du Fantôme dans le rôle de Christine Daaé, jeune choriste « formée » par l’Ange noire de la musique, qui prendra la place de la cantatrice Carlotta.

Grâce à lui, et à Anne-Marine Suire, qui est LA révélation du Fantôme dans le rôle de Christine Daaé, jeune choriste « formée » par l’Ange noire de la musique, qui prendra la place de la cantatrice Carlotta. Non seulement cette jeune chanteuse a une voix puissante et limpide (capable de tenir longtemps des notes très aiguës), mais elle se distingue par son jeu fin et passionné, à la fois éprise de Raoul et attirée par le génie du Fantôme.

Les rôles de soutien sont aussi bien livrés. On remarque toutefois que Michaël Girard, dans le rôle de Raoul, peine à soutenir ses échanges avec Christine, tant sa voix se perd à côté de celle, dominante, de la soprano française, qui traverse les murs du théâtre. Par moments, on perdait même les mots de Michaël, qui semblaient s’évanouir aussitôt après avoir été prononcés…

Quelques envolées du groupe donnent également lieu à des scènes cacophoniques étranges, qui devraient être démêlées pour le bien commun.

Enfin, Frédérike Bédard et Sylvain Paré, qui interprétaient les rôles de Carlotta et de Piangi étaient divertissants à souhait, même s’ils cabotinent beaucoup, ils sont le « comic relief » de la pièce. Catherine Sénart est excellente dans le rôle de Mme Giry, qui transmet les messages du Fantôme, et Éric Paulhus donne du tonus au rôle de Firmin, codirecteur de l’opéra.

Bref, une comédie musicale qui manque peut-être de moyens, mais certainement pas de talents. Surtout, on se réjouit de voir enfin une version française d’une mythique production anglaise qui n’en finit plus d’attirer de nouveaux publics. Ce n’est pas rien.

Jusqu’au 26 janvier au Théâtre Saint-Denis.

> Consultez le site du spectacle : https://www.evenko.ca/fr/artistes/7360/le-fantome-de-l-opera