Alors que des voix s’élèvent pour dénoncer les abus de pouvoir, les cas de harcèlement psychologique et d’agressions sexuelles qui minent le milieu de la danse depuis longtemps, le gouvernement Legault invite les victimes à dénoncer leurs agresseurs. Quant au Conseil des arts du Canada, il entend supprimer les fonds aux organismes incapables de garantir un environnement sécuritaire pour les danseurs.

La Presse a révélé jeudi qu’une quinzaine de danseurs professionnels tentaient de faire tomber l’omerta qui existe dans un milieu qu’ils jugent « toxique », où les abus sont nombreux.

Le directeur du Conseil des arts, Simon Brault, se dit « choqué » par ces révélations. « Ce serait se mentir de prétendre qu’il n’y a pas d’abus dans le milieu des arts. »

C’est pourquoi M. Brault trouve important que les subventions distribuées par le Conseil des arts puissent être accordées uniquement à des organismes qui agissent pour éliminer les sévices sexuels et autres.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉCOLE NATIONALE DE THÉÂTRE DU CANADA

Simon Brault, directeur du Conseil des arts du Canada

Les institutions, les organismes et les syndicats d’artistes, chacun dans leur domaine, doivent faire des progrès dans ce sens.

Simon Brault, directeur du Conseil des arts

Il explique d’ailleurs que le Conseil des arts a révisé ses politiques de subvention depuis l’an dernier. « Les organismes qui reçoivent une subvention du Conseil des arts doivent maintenant s’engager à fournir un environnement qui est exempt de tout ça », explique Simon Brault.

Cette décision a été prise dans la foulée de la controverse du Théâtre Soulpepper, survenue en janvier 2018, à Toronto, alors que quatre actrices ont accusé le directeur artistique, Albert Schultz, d’inconduites sexuelles.

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Albert Schultz, fondateur du Théâtre Soulpepper

« On est intervenus dans la subvention même, c’est-à-dire qu’on a refusé de leur verser une augmentation prévue en utilisant le fait que lorsqu’ils avaient fait leur demande de subvention, ils avaient fait une déclaration sur la bonne santé de leur organisation. On a prouvé que c’était un mensonge », précise le directeur.

À Québec, ces nouveaux témoignages du mouvement #moiaussi provenant du milieu de la danse ont profondément secoué la classe politique, hier, à commencer par la vice-première ministre du Québec et ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault.

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Geneviève Guilbault, ministre de la Sécurité publique

Elle a encouragé « les gens, les femmes à dénoncer » leurs agresseurs. « Ça prend beaucoup de courage pour le faire et il ne faut pas endiguer ce mouvement », a-t-elle dit.

« On ne peut pas accepter ça », a renchéri la députée libérale Hélène David, qui a fait adopter sous l’ancien gouvernement Couillard le projet de loi 151 pour prévenir et combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur.

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Hélène David, députée du Parti libéral du Québec

« C’est désespérant de lire ça, mais au moins, on a de l’espoir, parce que, enfin, on en parle, a-t-elle poursuivi. Il n’y a plus de raison de laisser passer [ce genre de harcèlement]. Il faut que tout le monde ait le même réflexe et que les étudiantes et les étudiants qui sont victimes d’agression puissent être accompagnés », a-t-elle ajouté.

« Des omertas comme celle dont vous faites état dans votre reportage, il y en a dans tous les milieux. […] Il y a encore du travail à faire. Plus les femmes dénoncent, plus on fragilise cette omerta. [Et] quand plusieurs décident de sortir en même temps, il y a une solidarité qui peut se créer entre elles. Le fait de savoir qu’elles ne sont pas seules peut donner plus de confiance dans leur démarche », a également déclaré Christine Labrie de Québec solidaire.

Mme Labrie, tout comme Hélène David et la députée péquiste Véronique Hivon, font partie d’un comité transpartisan, formé par la ministre de la Justice, Sonia LeBel, pour travailler à mieux accompagner les femmes victimes d’agressions sexuelles. En mars dernier, Québec a mandaté un groupe d’experts afin de proposer des pistes de solution pour mieux accompagner les victimes.

Au comité transpartisan, on souhaite entre autres soutenir celles et ceux qui ont été victimes d’abus, mais qui choisissent parfois de ne pas porter plainte.

« On ne veut pas les laisser tomber. Ne pas porter plainte, ça ne veut pas dire ne pas avoir de traumatisme, de douleur ou de cicatrices profondes. On ne peut plus accepter ça dans la société », a dit Mme David hier.

Au-delà du soutien syndical

À l’Union des artistes (UDA), Sophie Prégent applaudit cette prise de parole dans les milieux culturels. « Le harcèlement est le sujet dont tout le monde parle en ce moment. Nous l’avouons : nous avions un problème avant », dit la présidente.

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Sophie Prégent, présidente de l’UDA

Pour les danseurs, c’est particulier parce qu’ils s’expriment par leurs corps. C’est comme si c’était normal de toucher le corps des autres. Ils peuvent en venir à considérer quelque chose d’anormal comme normal.

Sophie Prégent, présidente de l’Union des artistes

D’après la présidente de l’UDA, même si son syndicat offrait des services et du soutien en matière de harcèlement, ses membres hésitaient à venir se confier. « Le problème est que les gens, même s’ils faisaient partie d’un syndicat comme l’UDA ou la SARTEC [Société des auteurs de radio, télévision et cinéma], ils n’appelaient pas pour porter plainte ou poser des questions. Parce qu’ils avaient peur que ça se sache. C’était important de créer un “truc” externe. »

Il y a eu la création de l’Aparté, centre de ressources indépendant et gratuit qui vise à agir contre toutes les formes de harcèlement dans le milieu culturel, en réponse au mouvement #moiaussi.

Depuis l’ouverture en octobre 2018, « la ligne ne dérougit pas », a expliqué hier l’avocate Sophie Gagnon à La Presse. « Beaucoup des appels sont du milieu de la danse », avait-elle ajouté.