(Paris) Elle a fait danser le deuil, la crise migratoire, les problèmes de couple : la Canadienne Crystal Pite, de retour à Paris, est la poétesse des chorégraphes d’aujourd’hui pour qui chaque création rime avec ovation.

Qualifiée récemment de « génie de la danse » du 21e siècle par le Guardian, l’artiste de 48 ans revient dimanche avec une nouvelle création pour le Ballet de l’Opéra de Paris, trois ans après le triomphe de Seasons’Canon, fresque cosmique pour 54 danseurs sur « les quatre saisons » de Vivaldi.

Elle monte cette fois avec 40 interprètes Body and Soul, un titre qui lui sied : alors que la majorité des chorégraphes contemporains privilégient la technicité, Pite parvient à toucher le public avec des mouvements à l’apparence robotiques, mais qui évoquent la condition humaine.

« Je crée tout le temps en ayant le public en tête. Notre temps est précieux et je trouve ça touchant que les gens continuent de venir au théâtre », affirme la chorégraphe dans un entretien à l’AFP au palais Garnier où se tiendra la première.

« Bien sûr, je veux que les spectateurs soient émus, mais ce n’est pas mon objectif principal. Je veux qu’ils soient complices… que ça résonne chez eux », ajoute l’artiste à la voix presque enfantine.

Complice, elle l’est aussi avec les danseurs de l’Opéra.

« Crystal Pite est d’une grande inspiration pour beaucoup d’entre nous », assure à l’AFP une danseuse participant à la nouvelle création. Elle loue une « femme d’une grande force mentale » et « sa manière de visualiser son ballet ».

Sur Instagram, la danseuse étoile Ludmila Pagliero a évoqué de « la magie dans l’air » durant les répétitions.

« Questions sans réponses »

« Les danseurs sont extraordinaires ici », affirme Crystal Pite. Avec leur travail « avec de grands chorégraphes contemporains comme William Forsythe, Mats Ek, Ohad Naharin, Hofesh Shechter, ils ont approfondi leurs connaissances. Ils me surprennent chaque jour et sont affamés de nouvelles choses ».

L’artiste relève « l’impressionnante versatilité » des danseurs d’aujourd’hui, avec de moins en moins de différence entre ce qu’est un danseur classique et un danseur contemporain, selon elle.

Elle montre un extrait vidéo de répétitions initiales de Body and Soul, menées avec de jeunes danseurs au Canada dont elle se sert comme un « carnet de croquis humain » avant de monter sa création à l’échelle d’une grande compagnie. Des danseurs imitent un va-et-vient de vagues dans un fourmillement qui rappelle un peu ses précédentes créations.

« J’ajoute par la suite des voix humaines et progressivement le son de vagues devient celui de manifestations », ajoute la chorégraphe qui dit s’inspirer souvent de « grandes questions qui n’ont pas de réponse », parfois liées à l’actualité.

Flight Pattern (2017, Royal Ballet de Londres) est un sombre tableau sur le drame des réfugiés ; Betroffenheit, gros succès en 2015 en Europe créé avec le dramaturge Jonathan Young, traite du traumatisme après le deuil, en se basant sur la tragédie personnelle de Young qui a perdu sa fille, sa nièce et son neveu dans un incendie en 2009.

La chorégraphe — une quarantaine de pièces à son actif — a surtout créé pour sa compagnie, Kidd Pivot, créée en 2002 à Vancouver.

C’est à une centaine de kilomètres de cette ville canadienne, à Victoria, qu’est née Crystal Pite, qui confie avoir voulu chorégraphier depuis toute petite, improvisant des pas dans la cour de sa maison ou dans son école de danse.

Celle qui se situe à mi-chemin entre la danse-théâtre de Pina Bausch et la danse géométrique de William Forsythe — son mentor pendant cinq ans au Ballet de Francfort — n’a pour sa part pas eu un rapport facile avec le ballet en raison d’« un dos peu souple et des jambes pas faites pour le classique ».