La vie de chroniqueur de théâtre serait un long fleuve tranquille, si tous les spectacles n'étaient que purs triomphes ou pitoyables croûtes.

Hélas (ou heureusement!), la réalité est généralement plus complexe, plus nuancée. Prenons par exemple Les pieds des anges, dernière création signée Evelyne de la Chenelière, mise en scène par Alice Ronfard. Un spectacle qui déborde de partout, me suis-je dit, en quittant la salle de l'Espace GO. Trop intelligent. Trop vaste. Trop long aussi. Trop de scènes qui auraient dû sauter au montage. Trop de personnages. Trop de sujets qui spinnent dans toutes les directions. Trop de monde sur la scène. Trop d'exubérance.

 

Dans le foyer de l'Espace GO, nous cherchions à recoller les pièces de cette explosion créative qui part de la Renaissance pour ensuite évoquer notre époque d'enfants rois, de deuils mal vécus, d'artistes en mal de notoriété, de multiculturalisme et de hijabs dans les cours de salsa...

Issu d'une plume autre que celle de madame de la Chenelière, tel masala se serait rapidement abîmé dans le triste cul-de-sac du «n'importe quoi». Seulement voilà: si Les pieds des anges est un spectacle tout plein de failles, qui gagnerait certes à être dégraissé, c'est aussi l'une des choses les plus brillantes que j'ai vues cette saison. Il y a parfois de ces paradoxes...

Ce qui m'amène à vous parler de la missive que l'homme de théâtre Olivier Choinière a envoyée la semaine dernière à son ami, «très cher critique de théâtre à Montréal».

«Crois-le ou non, je considère que tu exerces un métier essentiel. Tu ne fais pas qu'influencer la vente à la billetterie ou faire exister mon personnage médiatique. Tu es le relais de l'art dans l'espace public. Tu n'es pas seulement utile à la société, mais à mon métier. Tu me donnes l'occasion d'entendre un point de vue autre, plus distant et plus profond», écrivait l'ami Choinière, en guise d'introduction.

Non seulement je te crois, cher Olivier, mais je m'étonne que quiconque puisse douter de la pertinence de mon métier (et du tien, en l'occurrence). Plus tard dans ta lettre, tu m'invites aux Écuries où, enfin, je pourrai désormais «être un vrai critique, c'est-à-dire une personne à part entière, avec du jugement, qui examine les qualités et les défauts d'une oeuvre d'art».

Crois-le ou non, très cher, mais ni mon jugement ni l'entièreté de ma personne n'ont l'habitude de me faire faux bond, à La Licorne comme chez Jean-Duceppe. Ainsi, quand tu me dis que «si un spectacle n'emporte pas ta totale adhésion, témoigne de tes doutes solitaires», je pense aux Pieds des anges. Et je te rassurerai en te confiant que mes doutes sont très vite sortis de leur solitude, en arrivant dans le foyer de l'Espace GO, où des collègues et moi avons échangé des points de vue complètement opposés sur cette pièce.

Mais même si certains spectacles me provoquent d'incroyables prises de tête, il ne me passerait jamais par la tête d'écrire à un artiste pour l'inviter à «faire plus simple» ou, pire, «être une personne à part entière pourvue de jugement». Parce que tu sais, cher ami, les vaches ne seront bien gardées que lorsque chacun se contentera de faire son métier.

COURRIEL Pour joindre notre chroniqueuse: sstjacqu@lapresse.ca