André Sauvé me donne rendez-vous au Café Byblos, avenue Laurier Est. L'humoriste a participé la semaine dernière au gala Juste pour rire animé par Marc Labrèche, qui l'a fait connaître du grand public grâce à l'émission 3600 secondes d'extase.

À compter d'aujourd'hui, pour cinq semaines, Sauvé présentera son premier one man show à Magog, en prévision d'une rentrée montréalaise à l'automne. On reverra alors la «révélation» du gala Les Olivier de 2006 à 3600 secondes d'extase, où son humour déjanté fait beaucoup réagir (certains adorent, d'autres détestent). Thème : on ne peut pas plaire à tout le monde.

Marc Cassivi : Je remarque que les gens t'aiment beaucoup ou ne t'aiment pas du tout...

André Sauvé : Oui, ça me surprend. J'essaie de me faire un portrait de qui je rejoins, et c'est difficile à dire. Je le vois dans la rue, avec les gens qui m'arrêtent. C'est autant des jeunes avec la casquette par en arrière que des messieurs et des mesdames cultivés. Je les mettrais ensemble et ils n'auraient rien à se dire. Mais c'est vrai aussi qu'il y en a qui n'embarquent pas.

M.C. : Ça t'étonne de diviser autant l'opinion? C'est peut-être parce que tu proposes quelque chose d'atypique, de différent des codes humoristiques que l'on connaît.

A.S. : Oui. Je ne m'attendais pas à ça. Je suis quelqu'un qui doute beaucoup, de moi et de tout. Je ne sais jamais ce que ça vaut.

M.C. : Tu provoques des réactions assez vives.

A.S. : Je ne suis pas conscient de ce que je fais, de ce que je provoque. C'est très instinctif. J'imagine que ça rejoint davantage les gens instinctifs.

M.C. : Il faut que les gens embarquent dans ton trip.

A.S. : C'est ce que j'aime comme spectateur. J'aime qu'on m'amène ailleurs. C'est ce qui me captive. J'essaie en retour d'aussi faire ça. J'explore des idées, j'explore des manières. Et quand j'écris, j'oublie parfois que c'est moi qui vais devoir livrer ça!

M.C. : Lorsqu'on doute de soi, est-ce que de ne pas forcément plaire rend la tâche plus difficile pour un humoriste?

A.S. : Je ne crois pas. Ceux à qui mon humour ne plaît pas ne me le disent pas nécessairement. Ils ne m'abordent pas dans la rue en disant : «Hey toi! J'haïs vraiment ça tes affaires!» C'est rare que je pense à la réaction des gens. «Je vais faire ça et ils vont capoter.» Je ne pense pas à déstabiliser le public. Je pense à me déstabiliser moi. Et pendant que j'y pense, je me souviens parfois qu'il va y avoir des gens pour entendre ça.

M.C. : On aime mettre les humoristes dans des cases. Quand ils échappent aux cases, on dit qu'ils font de l'humour absurde. Te sens-tu appartenir à une sous-communauté d'humoristes qui fait de l'absurde?

A.S. : Je n'aime pas appartenir à des groupes. Je n'adhère pas à l'étiquette d'absurde. Si on se dit que la vie en elle-même est absurde, d'accord. Mais pour moi, l'absurde, c'est Ionesco, c'est Tardieu. Je n'aime pas les carcans. Je n'ai jamais fait d'école de théâtre à cause de ça. Je ne voudrais pas m'empêcher de faire un type d'humour parce qu'on s'attend à ce que je sois absurde.

M.C. : J'ai l'impression que l'étiquette «humour absurde» a été imaginée par des gens qui ne comprennent pas pourquoi certains, des jeunes en particulier, apprécient un humour qu'eux-mêmes ne comprennent pas.

A.S. : C'est peut-être un peu réducteur comme définition de l'absurde.

M.C. : As-tu eu de la facilité à t'insérer dans le milieu de l'humour, toi qui viens d'autres horizons, ou tu resteras toujours un électron libre?

A.S. : Je tiens à rester un électron libre. Je lutte pour le rester. Parce qu'on veut fixer les choses. C'est l'essence même de l'esprit. Mais la vie n'est pas là.

M.C. : Est-ce qu'il faut avoir sa carte de membre pour être humoriste?

A.S. : S'il y en avait une, je ne serais pas là. Ma cotisation n'est pas payée. Quand je faisais de la danse, je n'arrivais pas à dire que j'étais danseur. Je faisais de la danse. Ce n'est pas du tout par mépris que je veux rester un électron libre. Je suis arrivé dans ce milieu-là peut-être un peu par la grande porte. Je ne sais pas comment ça me place. Je suis de toute façon assez solitaire.

M.C. : Crois-tu que tu gères mieux la reconnaissance, le certain succès que tu as, à 42 ans, que si ça t'était arrivé à 27 ans?

A.S. : Je suis très content que ça m'arrive maintenant. C'est quelque chose à gérer pour un solitaire. Je trouve parfois difficile, en préparant mon show, que l'attention soit toujours portée sur moi. Mes années d'expérience de thérapie, m'aident à garder le cap!

M.C. : Vis-tu bien avec la critique, ce côté-là du métier?

A.S. : À date elle est bonne, alors je vis bien avec! (rires) Mais je ne suis pas du tout au point de me dire qu'elle ne m'affecte pas. Quand 3600 secondes d'extase a eu des critiques tièdes au début, étant donné les attentes, ça m'a affecté. Mais au bout de 24heures, je me suis dit qu'il ne fallait pas que je mâche la bouchée pour qu'elle soit plus facile à digérer. Pas par adversité mais pas fidélité à ce que je ressens. Le jour où je vais faire les choses parce que c'est comme ça que les gens les veulent, je vais abandonner. Je veux suivre mon instinct.

M.C. : Je te disais que tu divises le public. En même temps, ceux qui t'aiment t'adorent. Tu es devenu le chouchou de bien des critiques.

A.S. : Je préfère ça au tiède. Dans ce que j'aime, c'est comme ça aussi. À l'adolescence, j'ai été un fan de Diane Dufresne. Elle aussi, c'est blanc ou noir. Tu la détestes ou tu l'idolâtres. Ça fait partie du côté tranchant des artistes que j'aime. Je leur pardonne instantanément leurs erreurs parce qu'ils osent explorer. Diane Dufresne a fait de mauvaises chansons. Ce n'est pas grave. Elle a eu le mérite d'essayer. Je suis très indulgent face à ça. Ce n'est pas le cas de tout le monde. Finalement, je ne suis pas trop étonné de provoquer des réactions si tranchées...