«Toro est comme un oiseau. Tu essaies de l'attraper, puis il s'envole encore», explique Jean-Raymond Jacob au sujet de son théâtre de rue, évanescent autant sur le plan physique que symbolique.

En 2001 et 2003, la troupe Oposito a enchanté Montréal avec ses créations Transhumance et Les trottoirs de Jo'Burg... On se souvient encore de la finale surprise avec le Bolero joué par l'OSM. Cette année, Oposito complète le triptyque avec Toro.

«Il ne s'agit pas d'un spectacle de tauromachie, mais plutôt d'une métaphore qui s'en inspire. Je la compare à une corrida imaginaire», raconte son co-concepteur, le Français Jean-Raymond Jacob.

L'Espagnol Enrique Jimenez (co-concepteur) et la Française Martine Rateau (mise en scène) ont créé avec lui ce croisement entre le théâtre de rue et le défilé.

Une cinquantaine d'artistes travaillent sur l'oeuvre. Pour la préparer, la troupe a érigé un grand chapiteau dans le stationnement situé en face du Métropolis. Pendant notre interview hier, une vingtaine d'entre eux complétaient les costumes et testaient les sculptures de cheval et de taureau.

On comprend rapidement que Toro est une grosse production. Comme plusieurs jours de travail sont nécessaires pour la mettre en place, elle ne visite que 20 villes par année. Après des représentations, notamment à Séoul et en Roumanie, elle s'arrête à Montréal.

«Nous nous inscrivons dans la tradition très européenne des arts de la rue, avance Jacob, un Breton. D'être invités par le Festival pour la présenter en Amérique, cela constitue une grande chance pour nous.»

Tableaux évanescents

Toro ne suit pas de fil conducteur précis. L'oeuvre propose plutôt une succession de tableaux évocateurs. «C'est rempli de cassures, explique Jean-Raymond Jacob. Un peu comme dans la vie, les lignes droites n'existent pas. Les gens et les choses changent immanquablement, constamment», explique-t-il.

Le spectacle illustre cette volatilité. Des tableaux se construisent et se réarrangent, en passant d'un minotaure à des taureaux lâchés dans la foule, ou de la procession de la Madone à des chevaux de l'apocalypse repoussés dans les ténèbres. Toro bascule ainsi d'un monde à l'autre. L'humour et le sacré se côtoient dans cet éloge de l'onirisme.

La seule constante: l'ébahissement ressenti. À en juger par les photos vues et les critiques lues, la création laisse pantois.

«Le public mexicain a particulièrement apprécié notre personnage de la Muerte – la mort. C'était un immense soulagement, car il emprunte directement à leurs traditions. Là-bas, la mort se veut une fête. Les enterrements deviennent des fiestas», raconte Jean-Raymond Jacob.

Puis il nous montre une photo (publiée ci-haut) d'un torero. «Tu vois les pantalons? Ce sont les mêmes que ceux que portent les toreros en entraînement. Nous voulions créer tout en respectant les traditions. Quand la modernité s'allie à la tradition, des grandes choses arrivent.»

La musique respecte également cette démarche. Composée par Michel Taieb, elle s'annonce aussi éclatée que la scénographie. L'idée de cette trame sonore vient d'un flash qu'a eu Jacob en se promenant dans les rues du Mexique.

«Tous les 30 mètres, il y avait un bodega, un restaurant ou de petites fêtes. Une musique distincte s'échappait de chaque endroit. En quelques minutes de marche, on passait de la bossa au rock au classique.»

Toro intègre ces différents styles à sa trame sonore originale, qui inclut de la musique sacrée, du hard rock et du flamenco.

Arrivez à 21 h 43

Oposito se défend d'offrir un simple défilé. Les tableaux se déconstruisent et se réarrangent pendant la marche. Le public est invité à suivre les artistes de l'intersection Saint-Denis/Maisonneuve jusqu'au point d'arrivée, gardé secret.

«En plus d'avancer physiquement, nos tableaux eux-mêmes se modifient. En ce sens, c'est le contraire d'une parade ou d'un défilé. Ce qu'on voit change avec le temps. Parfois, les artistes se rangent en ligne. Parfois, ils encerclent la foule», annonce Jean-Raymond Jacob.

Pour ne rien manquer, il faut donc arriver à l'heure. Soit 21 h 43. Pourquoi pas 21 h 45 ou 22 h?

«En choisissant une heure si précise, les gens s'en souviendront. Ils retiendront probablement plus l'heure que le nom de notre troupe», blague-t-il.

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Ce soir et demain à 21 h 43. Départ à l'intersection Saint-Denis/Maisonneuve.