Il vient d'être embauché comme chorégraphe par Dave St-Pierre pour l'épauler dans la création de sa nouvelle trilogie. Il danse partout dans le monde en duo avec Louise Lecavalier dans So Blue depuis bientôt quatre ans. Il a été salué par la critique à de nombreuses reprises pour ses propres créations. Pourtant, après la présentation de Things are leaving quietly, in silence, au Monument-National à partir de jeudi, Frédéric Tavernini mettra la clé sous la porte de Clovek & The 420, sa compagnie fondée en 2009.

Après avoir dansé les pas de Béjart, Forsythe, St-Pierre, Gravel et Lecavalier, Frédéric Tavernini a fondé sa propre compagnie pour étancher sa soif de liberté. Une entreprise qui, avec le recul, sept ans plus tard, s'est avérée beaucoup moins libératrice que ce qu'il pensait. Pour mener à bien Wedged in the Red Room (2009), Le Tératome (2012) et Wolf Songs for Lambs (2015), Frédéric Tavernini a fait, année après année, des demandes pour recevoir des subventions du Conseil des arts du Québec et du Canada. En vain. Au point qu'il a fini par abandonner et cesser de les solliciter pour sa dernière création.

«On me donne de très bonnes notes, mais jamais d'argent! C'est lassant d'entendre dire que ton dossier est bien monté et que ton projet est intéressant, mais que malheureusement, on ne peut répondre à votre demande. Si je n'avais pas de diffuseur, je comprendrais. Mais ce n'est pas le cas!», lance Frédéric Tavernini, dont le spectacle sera cette fois diffusé par Tangente.

Le chorégraphe et danseur a décidé de se tourner vers le sociofinancement sur l'internet plutôt que de faire face à une autre déception. Grâce aux généreux donateurs sur le site Kisskissbankbank.com, il a réussi à trouver les 5000 $ qui feront la différence pour que son ultime pièce se rapproche de l'idéal qu'il s'était imaginé.

Mais «5000 $, c'est un budget ridicule! Je ne touche pas d'argent sur cette création. Je ne me paie pas. J'ai un piano à louer pour les TwinMuse, et c'est 1500 $ pour la semaine. Sans compter le système de son adapté pour de la musique live, le studio pour travailler, le régisseur. J'ai cinq musiciens sur scène avec moi et je n'ai même pas un cachet pour les quatre soirs pour eux!» 

«Je ne m'en sors pas, a-t-il ajouté, découragé. C'est le dernier show que je produis. La compagnie me coûte de l'argent. Je ne peux plus continuer à danser pour les autres pour vivre et en plus injecter de l'argent dans ma compagnie alors que d'autres sont sursubventionnés.»

Un système défaillant?

Chaque année, un comité d'évaluation constitué de pairs, qui s'engagent à déclarer leurs propres intérêts, examine les diverses demandes de subventions reçues au Conseil des arts et des lettres du Québec comme au Conseil des arts du Canada. Après délibération, ils octroient des enveloppes aux compagnies par l'entremise de multiples programmes. Un processus qui n'est pas strictement quantitatif, mais partiellement subjectif, puisqu'il vise à évaluer la qualité artistique et l'impact de la production sur l'ensemble de la discipline.

Pour sa part, Frédéric Tavernini y voit un réel problème de distribution des subventions. «Dans le milieu, ça fonctionne comme ça : les artistes ont une subvention de fonctionnement pour leur compagnie avec laquelle ils se paient et engagent quelqu'un pour leur administration. Puis, ils vont chercher des subventions pour leurs productions dans tous les programmes. Les cinq premiers noms se retrouvent chaque année un peu partout. Et il ne reste plus rien pour les autres, déplore-t-il. Quant aux fonds alloués à la recherche et au développement en danse, ils ne t'obligent pas à présenter un spectacle. Moi, je demande 20 000 $ pour un show qui a un diffuseur et qui fait bosser cinq personnes, et c'est non!»

Le chant du cygne

Frédéric Tavernini s'est inspiré de son désenchantement par rapport au système dans son ultime création Things are leaving quietly, in silence.

«C'est une pièce sur un système qui ne fonctionne plus, le ras-le-bol de la culture à deux vitesses à Montréal et le fait que la seule forme d'art soutenue soit celle qui rapporte. Que va être notre lendemain?»

Le chorégraphe a fait appel au groupe Dear Criminals et aux pianistes Hourshid & Mehrshid Afrakhteh de TwinMuse pour assurer la relecture musicale live du Sacre du printemps d'Igor Stravinsky dans son spectacle.

«Je viens d'avoir 40 ans. Je me pose des questions. J'ai encore envie de danser, mais je ne sais pas si j'ai encore envie de contribuer au succès des chorégraphes avec lesquels je travaille. Il y a 20 ans, je dansais Le sacre pour Béjart. Je ne m'attaque pas à cette oeuvre, je n'utilise pas l'histoire. J'en utilise la musique. C'est ma façon à moi de tourner la page sur certaines choses», lance Tavernini.

Habitué du «système D», le chorégraphe a confectionné lui-même le décor de sa création, dans laquelle on retrouvera 101 crânes. «Chaque crâne représente une semaine d'absence de ma fille partie vivre avec sa mère en France depuis août dernier. La pièce porte également sur l'anxiété de faire face à un vide, dans ma vie et dans mon travail. Je fais quoi maintenant?», conclut le chorégraphe désenchanté.

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Things are leaving quietly, in silence, au Monument-National du 12 au 15 mai.