Avec Rocco, la danse et la boxe - deux disciplines qui semblent avoir peu en commun au premier abord - fusionnent dans un ballet-combat haletant et rythmé campé entièrement dans l'espace du ring. Une rencontre réussie, qui tient le spectateur en haleine.

Pour la présentation de Rocco, la Cinquième Salle de la Place des Arts fait tomber le quatrième mur, pour offrir des sièges donnant sur l'un ou l'autre des quatre côtés du ring de boxe qui s'érige en hauteur au centre de l'espace scénique. Quelques spectateurs se retrouvent même sur le plancher des vaches, profitant d'une vue et d'une proximité inédites.

Si les chorégraphes Emio Greco et Pieter C. Scholten (directeurs artistiques et généraux de la compagnie hollandaise ICKamsterdam) se sont inspirés du film italien sur l'univers de la boxe Rocco et ses frères, nul besoin de connaître cette référence pour apprécier ce spectacle intense qui sait faire sourire autant que garder le spectateur au bout de son siège.

Mené par deux duos d'interprètes (Dereck Cayla, Quentin Dehaye, Edward Lloyd, Arneau Macquet), Rocco se bâtit autour de la rivalité fraternelle, les chorégraphes citant Caïn et Abel, mais aussi Laurel et Hardy. Empruntant à la boxe non seulement l'inspiration pour sa gestuelle brute, sautillante et combative, mais aussi sa structure, la pièce se construit autour de moments de combat et de répit, ponctués par le son de la cloche.

Les chorégraphes vont jusqu'à y insérer une pause annoncée par un danseur personnifiant une ring girl, le temps d'une performance déjantée de lip-synch sur Paroles paroles de Dalida, qui vient distiller un brin de légèreté dans une atmosphère gonflée à bloc.

Duels enlevants

Tour à tour, des duos se jaugeront, encerclés par les cordes du ring, confinés dans leur bataille du geste. Leur combat y sera tour à tour agressif, brutal, amical, chargé d'émotion, voire sensuel, accompagné par une trame sonore de plus en plus omniprésente, passant d'une douce comptine enfantine à l'opéra, puis aux percussions endiablées.

Le premier duo met en scène deux hommes qui portent des shorts de boxe rouge et bleu. S'observant d'un coin à l'autre du ring, dans l'air enfumé par les volutes de leurs cigarettes, ils se retrouvent bientôt plongés dans le noir, au centre du ring, dos à dos, éclairés par un minuscule faisceau lumineux qui s'élargira peu à peu sous l'impulsion de leur danse.

Dos cambré, puis affaissé mollement vers l'avant, jambes qui se tendent avec raideur puis en tremblotant, mains pointées en forme de bec... Tels des coqs tantôt fiers, tantôt K.-O., ils se pavanent et se répondent, se mesurent et se jaugent, fragiles et forts tout à la fois.

Mais la pièce de résistance du spectacle, c'est le second duo, combat sans merci entre deux hommes anonymes à tête de souris. Dans un duel épique impliquant démonstration d'endurance physique et de techniques de ballet, harangues à la foule et corps-à-corps, ces pugilistes se dévêtiront peu à peu de leurs couches de vêtements pour se retrouver sans protection, leggings scintillants et corps suintants, engagés dans une danse-marathon d'où aucun ne sortira indemne.

Pas étonnant que cette production ait déjà connu son lot de blessures chez les danseurs, qui se donnent à fond, quitte à perdre ici et là leur synchronisme (dommage!). Puisant son vocabulaire dans la boxe, les uppercuts, crochets, coups de jambes, balayages et projections au sol servent de matière de départ à une gestuelle rapide et vigoureuse impliquant tournoiement, sauts, pivots et déplacements vifs dans un rythme de plus en plus frénétique, qui culmine en finale triomphante.

Un bémol: c'est lorsque les mouvements sont trop calqués sur ceux de la boxe que la chorégraphie perd de sa force de frappe. Mais dans son hybridation puisant dans la danse contemporaine, mais aussi dans l'énergie du ballet jazz, elle réussit à faire de Rocco un spectacle enlevant.

***1/2

À la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu'au 14 mars.