Frédérick Gravel donnera ce soir au Théâtre de la Bastille la première d'une série de représentations de son spectacle Ainsi parlait, après avoir présenté Usually Beauty Fails la semaine dernière. Entrevue parisienne avec le chorégraphe, danseur et musicien.

« Il parle comme il joue sur scène : bouillant, droit et drôle. Voilà Frédérick Gravel, danseur, chorégraphe, mais encore guitariste, chanteur, animateur, à perruque, rock et bière, bref, une bombe, québécoise par-dessus le marché ! »

C'est le quotidien Le Monde qui le dit.

Pour avoir été témoin des nombreux saluts alimentés par les applaudissements de la foule du Théâtre de la Bastille lors de la première d'Usually Beauty Fails, la semaine dernière, on peut confirmer la curiosité et l'enthousiasme du public français pour le travail de Frédérick Gravel.

Inutile de rappeler que le milieu de la danse contemporaine « n'est jamais facile ». Pour le chorégraphe, danseur et musicien Frédérick Gravel, la tournée en Europe est essentielle pour prolonger la durée de vie de ses créations.

Né il y a deux ans, Usually Beauty Fails compte quelque 30 représentations à sa feuille de route. Il s'agit du premier de deux spectacles de Frédérick Gravel à l'affiche du Théâtre de la Bastille. Suit cette semaine Ainsi parlait, conçu avec Étienne Lepage. La formule des deux spectacles successifs est intéressante, « car cela permet de focaliser sur un artiste », dit le chorégraphe, assis devant nous au restaurant Aux deux amis de la rue Oberkampf.

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Libération a consacré lui aussi un article important à Frédérick Gravel. « En France, où il commence à tourner pas mal, le Québécois Frédérick Gravel est un peu chez lui. Il manie si bien la langue française, lui redonnant quelque noblesse et son sens de l'hospitalité, qu'il peut s'installer légitimement au Théâtre de la Bastille pendant deux semaines », a écrit la journaliste Marie-Christine Vernay.

Nul n'est prophète en son pays. « Tu arrives dans un autre pays et les gens sont plus contents de t'avoir que chez toi », blague Frédérick Gravel.

Pour la série parisienne d'Usually Beauty Fails, Frédérick Gravel a dansé avec Brianna Lombardo, Lucie Vigneault, Jamie Wright, David Albert-Toth et l'explosif Francis Ducharme. Il a accompagné en musique Vincent Legault et Charles Lavoie, de Dear Criminals, qui ont succédé à Stéphane Boucher et Philippe Brault.

On dit bien « succéder » et non « remplacer ». Gravel déteste parler de remplaçant. « C'est organique. Chacun apporte sa couleur et nourrit le projet », dit-il.

Le tiers du spectacle Usually Beauty Fails repose sur l'improvisation. Frédérick Gravel dit « se battre contre la perfection ». Il cite la formule de la musique jazz.

La signature du chorégraphe : des créations hybrides, entre un spectacle de danse et un show rock. Des numéros qui se succèdent comme des chansons. Gravel danse, chante et joue du clavier. Il s'adresse à la foule entre les pièces tel un chanteur.

Quand il a terminé son baccalauréat en danse à l'UQAM, Frédérick Gravel regrettait de voir « que la danse contemporaine était plate ». Son frère - et coloc  -  musicien l'a inspiré à insuffler une énergie rock à ses créations chorégraphiques.

La touche pop assumée qui galvanise les chansons de ses spectacles - gracieuseté de Stéphane Boucher et Philippe Brault - lui permet d'éviter de sombrer dans le « trop cérébral ». Si bien qu'une BO d'Usually Beauty Fails pourrait très bien se vendre.

LA DANSE, LA TOURNÉE

Frédérick Gravel a réussi à fignoler une tournée « qui se tient ». Après Paris, il présentera Usually Beauty Fails à Rome. « À force de jouer ici, on connaît plus de gens à qui on peut écrire directement quand on a l'occasion de venir. »

Le chorégraphe s'est réjoui cet automne d'avoir pu se produire en « Amérique », à Seattle et Vancouver. En novembre et en décembre, il présentera également Usually Beauty Fails à Lennoxville et à Québec.

Jouer à New York et Boston ? Difficile. Les structures d'accueil ne sont pas les mêmes aux États-Unis, dit le chorégraphe. « Il y a peu de théâtres subventionnés. L'underground n'a pas les moyens de faire venir une production. »

Et tourner dans plusieurs villes au Québec ? Pratiquement impossible.

La danse comporte les avantages et les inconvénients de ne pas être une industrie, dit Frédérick Gravel.

« Je gagne ma vie, mais je travaille comme un dingue... Cela dit, c'est une chance aussi, et il y a un sens qui émerge de ça, détaille-t-il. Ce n'est pas une job ; c'est une occupation qui te fait rencontrer des gens et qui te fait aller quelque part. C'est gratifiant. »

Frédérick Gravel profite du préjugé favorable ayant cours envers les artistes québécois dans l'Hexagone. « Il y a une ouverture à ce que l'on fait, car nous faisons des choses qui ne pourraient pas se passer ici. »

« Il y a des choses merveilleuses pour la culture ici. Il y a de grandes institutions établies, mais la tradition est lourde. Les choses ne bougent pas vite et il y a des façons de faire, explique l'auteur d'une maîtrise sur la place de l'artiste dans la société. Il y a des choses qui peuvent seulement survenir dans les moments de précarité et dans un environnement plus volatile. »

« Émerger comme artiste à Montréal est plus facile, mais après, tu vas un peu nulle part... Il y a beaucoup de bon stock qui cherche sa place... Bon, c'est un jugement rapide », lance-t-il en riant.

Sa prochaine « première » à Montréal : un cabaret à l'Usine C, dont la première aura lieu à la Nuit Blanche avant une série de représentations en mars.