Brigitte Lefèvre, directrice du ballet de l'Opéra de Paris depuis 20 ans, quittera dans un mois «la maison» qu'elle avait intégrée à huit ans, cédant la place au très glamour Benjamin Millepied.

Les 154 danseurs de «la maison», elle les connaît sur le bout des doigts, avec leurs bobos et leurs états d'âme. Sa porte est ouverte aux danseurs, aux maîtres de ballet, aux régisseurs et techniciens, un ballet incessant qui défile dans le petit bureau avec sa fenêtre en oeil le boeuf dans les hauteurs du Palais Garnier.

«On doit à la fois accompagner ceux qui évoluent, mais aussi ceux qui stagnent, qui ne seront jamais étoiles», raconte-t-elle. Et puis il y a les reconversions: le couperet de la retraite tombe tôt au ballet de l'Opéra, à 42 ans. Une cellule a été créée pour aider les danseurs à construire leur deuxième vie.

«Certains viennent simplement pour un avis, pour savoir ce que je pense de leur travail, d'autres appellent «ouh là là j'ai mal!»», raconte-t-elle. Quatre soigneurs sont à demeure à l'Opéra de Paris.

Son «bureau de pleurs» recueille parfois des confidences. Mais cette relation «maternante» s'accompagne chez Brigitte Lefèvre d'une grande fermeté: «Je suis la directrice, et j'ai été une dame de fer pour que la danse règne à l'Opéra de Paris», dit-elle. Ce style français salué dans le monde entier, fait de rigueur et d'élégance.

C'est elle qui nomme les étoiles: «D'un seul coup on sent que cette lumière, cette chose qui vient de l'intérieur, prend toute la place, alors voilà, il faut le ou la nommer étoile».

Les danseurs d'aujourd'hui sont rompus aussi bien à la danse académique de haut niveau qu'aux nouvelles chorégraphies. «L'éventail de la danse s'est considérablement élargi», dit-elle. Dans les années 60, on dansait moitié moins à l'Opéra de Paris (75 levers de rideau au lieu de 150 aujourd'hui, l'opéra Bastille ayant permis de dédier Garnier à la danse). Et surtout, on danse aujourd'hui de tout, du très classique Casse-Noisette à Pina Bausch, Jiri Kylian et Angelin Preljocaj.

Ouvrir la maison

«J'ai énormément ouvert la maison», dit Brigitte Lefèvre, avec d'autant plus de conviction qu'elle souffrait, jeune fille, du manque de diversité à l'Opéra. À 28 ans, elle quitte le ballet (1972) pour voler de ses propres ailes. Elle fonde avec Jacques Garnier le Théâtre du Silence, pour lequel elle créé plusieurs pièces dont l'une (Mikrocosmos) dans la Cour d'honneur au festival d'Avignon.

«J'avais envie de voir le monde», dit-elle, rappelant qu'à l'époque, les danseurs de l'Opéra disaient «le monde extérieur» tant la maison était une bulle.

À la naissance de sa fille, elle abandonne la vie de saltimbanque et rejoint le ministère de la Culture comme inspectrice de la danse, puis l'Opéra de Paris comme directrice de la Danse en 1995.

Parmi les nombreux chorégraphes contemporains qu'elle invite, un certain... Benjamin Millepied. «Benjamin est un des chorégraphes que j'ai fait venir le plus de fois», dit-elle, rappelant sa commande du ballet Daphnis et Chloé donné en mai dernier.

À presque 70 ans, silhouette fine - yoga tous les matins - et visage décidé, Brigitte Lefèvre est aussi quelqu'un qui ne mâche pas ses mots. Lorsque son successeur parle de faire venir la modernité à l'Opéra, elle laisse paraître son agacement, et à la conférence de presse de nomination, elle lance, caustique, «Benjamin, tu es jeune, ça s'arrangera!».

«J'ai mon franc parler», sourit-elle. Interrogée sur ce qui avait motivé sa vocation de danseuse, elle avait tout simplement répondu: «Ma mère adorait la danse, et moi j'adorais ma mère». Le 4 octobre, une soirée exceptionnelle rend hommage à Brigitte Lefèvre à l'Opéra de Paris.