J'avais compris: «On fait un spécial contre-emploi. Tu vas couvrir les grands dadais du Canadien.» Je préparais déjà ma sortie au camp d'entraînement de Brossard en affûtant mes arguments en faveur du C pour Carey Price.

C'était moi le grand dadais. J'allais couvrir les Grands Ballets canadiens. Léonce et Léna, un «ballet comique» du chorégraphe Christian Spuck, en ouverture de saison. Vous dire le scepticisme avec lequel je me suis rendu au Théâtre Maisonneuve jeudi soir...

Aveu: je ne connais rien à la danse, encore moins au ballet. J'ai bien vu quelques incontournables comme Giselle et La Bayadère, les Ballets du Kirov et ceux du Bolchoï lors d'un séjour en Russie, mais en pur néophyte.

Je préfère la danse contemporaine à la danse classique. J'ai été soufflé récemment par le film de Wim Wenders sur Pina Bausch. J'ai toujours des souvenirs très vifs de spectacles de Carbone 14 ou de La La La Human Steps, vus lorsque j'étais étudiant. Mais du ballet comique, jamais.

Léonce et Léna, créé il y a six ans pour le Ballet du Théâtre Aalto par le chorégraphe allemand Christian Spuck, a été intégré au répertoire des Grands Ballets canadiens en 2010. C'est une oeuvre dont la trame narrative est à peu près incompréhensible pour quiconque n'est pas familier avec la satire politique de Georg Büchner (écrite en 1836) qui l'a inspirée. Quand il n'y a pas de mots, on sacrifie parfois à la nuance.

Disons que le prince Léonce, qui s'ennuie ferme, est mécontent du projet de mariage arrangé le liant à la princesse Léna, elle-même malheureuse de son sort. Léonce s'enfuit avec son nouvel ami, le fantasque Valério. Léna fait de même avec sa gouvernante. Mais par une joyeuse ironie du sort, les fugueurs royaux se rencontrent près d'une auberge et tombent amoureux. Le jour du mariage, en l'absence des promis, la cour finit par marier deux inconnus déguisés en automates, qui se trouvent à être nuls autres que (spoiler alert)... Léonce et Léna.

Note de néophyte: je ne crois pas être le seul à trouver que la satire politique de Büchner (l'auteur de Woyzeck) a été évacuée du ballet de Christian Spuck au profit d'un humour bon enfant se traduisant dans une chorégraphie comico-moderne au parfum de théâtre d'été.

Les réactions provoquées par Léonce et Léna à sa première, jeudi, étaient à l'avenant. Des ricanements quand un visage se trouvait inopportunément trop près d'un buste ou d'un bassin, ou qu'un danseur mimait avec insistance un geste de va-et-vient (surtout que l'intrigue se passe au Royaume de Pipi avec de la «musique de Bugs Bunny», comme disait l'autre).

Christian Spuck, chorégraphe bien en vue, joue allègrement la carte de l'anachronisme. Ses personnages traînent parfois une chaîne stéréo sur scène, diffusant de vieilles chansons du répertoire américain comme Dream A Little Dream Of Me ou A Little Bitty Tear. Des chansons populaires qui tranchent notamment avec les thèmes connus de Strauss interprétés par l'Orchestre des Grands Ballets.

Le personnage gâteux du roi enchaîne plusieurs chorégraphies célèbres de la musique pop récente, du Moon Walk au Gangnam Style, en passant par la Macarena. Bref, il faut aimer le vaudeville...

Il y a certes de très jolis tableaux dans ce ballet qui évoque par moments les vieux films de Buster Keaton (j'en reviens toujours au cinéma; blâmez le contre-emploi). De beaux traits de mise en scène aussi, comme cette idée de faire gambader le personnage de Valério vers l'arrière ou d'imposer un mouvement de bicyclette latérale à celui de Léonce. Leurs interprètes, le bien nommé Ruben Julliard et Hervé Courtain, sont impressionnants de souplesse, de fluidité et d'agilité, comme du reste l'ensemble de la distribution. On a parfois l'impression qu'ils flottent.

Le dispositif scénique en forme de S, pivotant sur lui-même, tout simple mais ingénieux, permet des transitions efficaces. De la cour du roi, on passe à un jardin, où se trame l'éveil amoureux des principaux protagonistes dans un romantisme à l'eau de rose que j'ai trouvé un peu kitsch.

Charmé par le ton enfantin du premier acte, avec ses personnages comme des pantins qui virevoltent, je l'ai été beaucoup moins par le deuxième, plus statique. Léonce et Léna, un ballet sur deux personnages qui s'ennuient, a fini par avoir le même effet sur moi. Je retourne au cinéma!