Le directeur artistique du Bolchoï Sergueï Filine, grièvement blessé au visage dans une attaque à l'acide en janvier, a fondu en larmes mercredi au tribunal face aux auteurs présumés de son agression qui lui a quasiment fait perdre la vue.

Portant des lunettes noires et vêtu d'un costume sombre, sans cravate, M. Filine n'a pas mâché ses mots lors de cette audience devant un tribunal de Moscou.

Faisant face au commanditaire présumé de l'agression, Pavel Dmitritchenko, un danseur soliste de 29 ans et militant syndical au Bolchoï, il a affirmé que ce dernier avait «toujours essayé de le menacer indirectement».

Il a ajouté avoir été averti, avant l'attaque, que M. Dmitritchenko cherchait à réunir des informations compromettantes à son égard, notamment sur sa vie privée.

Mais, lorsque la juge lui a demandé de décrire sa souffrance, après qu'il eut demandé une compensation de près de 3,5 millions de roubles pour le préjudice moral et physique causé, le directeur artistique du Bolchoï n'a pu retenir ses larmes.

«Après ce qui s'est passé, la vie de mes proches a changé à 100%. Moi, j'ai perdu la vue. Je ne peux plus voir mes enfants», a-t-il lancé, avant de demander à sortir de la salle pour quelques minutes.

À son retour, alors qu'il était toujours en larmes, la juge a décidé d'interrompre le procès, qui reprendra jeudi.

M. Filine a précisé ne pas souhaiter continuer à comparaître en personne, étant donné qu'il doit encore se rendre en Allemagne pour des soins.

Mercredi, il était accompagné d'un médecin. Son avocate, Natalia Jivotkova, a précisé à l'AFP que cette présence était nécessaire car le «stress lui est contre-indiqué».

Ni favoritisme, ni pots-de-vin

Lors de l'audience de près de quatre heures mercredi, il a décrit devant la justice les relations tendues dans les coulisses du grand théâtre russe.

Sans qu'aucune question ne lui soit posée à ce sujet, il a affirmé n'avoir jamais favorisé de ballerines en fonction de leurs relations.

«Les accusations selon lesquelles les danseuses sont passées dans mon lit sont encore plus offensantes pour les ballerines, qui soi-disant ont eu une aventure avec moi, que pour moi. C'est un mensonge», a-t-il dit, ajoutant n'avoir également jamais perçu de pots-de-vin.

«Ma femme, avec laquelle j'ai une relation intime depuis 10 ans, ne danse pas comme Olga Smirnova», a-t-il poursuivi, faisant référence à une soliste du Bolchoï, qui aurait eu une liaison avec lui selon des rumeurs.

«Je ne pardonne à personne»

Aspergé d'acide le 17 janvier en bas de son immeuble, Sergueï Filine, 43 ans, a été grièvement brûlé au visage et aux yeux, et a pratiquement perdu la vue d'un oeil. Après une greffe de peau et plusieurs opérations aux yeux en Allemagne, M. Filine a repris en septembre le travail au Bolchoï où il est désormais toujours accompagné d'un garde du corps.

Revenant sur cette agression, le directeur artistique du Bolchoï a indiqué «ne pardonner à personne pour ce qu'il s'est passé».

Malgré cette déclaration, peu avant la fin de l'audience, Pavel Dmitritchenko, qui a plaidé non coupable, a demandé à Filine de lui pardonner.

En détention provisoire depuis mars, le danseur a affirmé ne pas avoir demandé à ses complices présumés, également présents mercredi dans la salle, de causer un «préjudice grave» à la santé de M. Filine. Il a insisté sur le fait que l'exécutant Iouri Zaroutski avait commis l'attaque contre Filine tout seul, de son propre chef.

En août, Pavel Dmitritchenko avait déjà démenti devant le tribunal avoir planifié l'attaque à l'acide mais il a reconnu avoir accepté la proposition de l'exécutant présumé de «frapper Filine».

Pour sa part, Iouri Zaroutski a reconnu avoir attaqué M. Filine, mais non d'avoir comploté avec Pavel Dmitritchenko et l'autre complice présumé, le chauffeur Andreï Lipatov, qui a lui aussi plaidé non coupable.

Tous les trois doivent répondre de «blessures volontaires préméditées» et risquent jusqu'à 12 ans de détention.

Mercredi, Sergueï Filine a précisé ne pas connaître MM. Lipatov et Zaroutski.

Cette affaire a révélé au grand jour des rivalités féroces et des conflits internes au sein du prestigieux théâtre russe qui ont tourné au drame.