On avait hâte de revoir à Montréal le travail de Sharon Eyal, chorégraphe incontournable de ces dernières années. Aguerries à la Batsheva Dance Company d'Ohad Naharin, ses oeuvres ont fortement marqué la scène internationale depuis 2005. Le résultat dépasse les attentes. Corps de Walk, sa dernière création, avec Gai Behar, pour la magnifique compagnie norvégienne Carte Blanche est puissamment hypnotique et obsédante. Un seul regret: on en aurait pris plus.

Six danseurs et six danseuses. Douze corps moulés dans un justaucorps à la fois transparent et matifiant qui révèle et magnifie les corps tout en évitant de monopoliser le regard comme le ferait une totale nudité.

C'est un microcosme humain, une ethnie terrienne. Chacun contribue à l'ensemble comme on appartient à sa famille parce qu'on lui ressemble, qu'on reproduit des gestes et des patterns à l'unisson par mimétisme et nécessité de cohésion du groupe.

Mais chaque corps demeure strictement distinct et s'affirme comme tel, sexué et surtout pas androgyne, affirmant sensuellement sa différence, se détachant un moment du groupe pour oser une danse solitaire, un duo, un trio, pour mieux revenir dans le giron de la communauté.

Eyal et Behar scrutent un thème très largement à l'étude ces temps-ci en danse contemporaine : celui de nos sociétés robotisantes, uniformisantes, où la différenciation devient périlleuse et raréfiée. Ils le font avec une chorégraphie d'une prouesse virtuose, un mouvement ininterrompu d'une gestuelle millimétrée, épurée, calibrée jusqu'au moindre frémissement des mains, des doigts, des omoplates, des regards.

Une danse qui se déploie sur la scène vide et clair-obscure (lumières signées Torkel SkjAErven) comme un feu roulant, fluide bien que très architecturé, alternant la géométrie angulaire et verticale avec des transitions subtiles comme de la dentelle gestuelle.

Sans cesse on suit la masse du groupe tout en distinguant chacun au sein de celui-ci. Ils sont à la fois solides, puissants, solidement ancrés au sol, et gracieux, souples, aériens. Sur la partition musicale du musicien et DJ Ori Lichtik, faites d'obsédantes percussions pulsives et répétitives, et un volume sonore envahissant, ils, elles, marchent. Je, tu, nous marchons. Ainsi la vie sur Terre.

Corps de Walk de la compagnie norvégienne Carte Blanche, jusqu'au 2 mars au théâtre Maisonneuve.