L'art de la danse de Crystal Pite et le génie narratif de Shakespeare. Dans sa réplique de La tempête, la tête dansante de Kidd Pivot donne un nouveau souffle à cette tragédie sur le pouvoir et la survie, dans laquelle Prospero convoque la magie pour se venger des hommes qui l'ont banni de leur cité. La pièce s'est fait connaître comme le «testament» de Shakespeare, la dernière oeuvre avérée, celle où Prospero brise sa baguette de magicien.

Exilé dans une île avec sa fille Miranda, le vieil homme décide de se venger en provoquant, à l'aide d'Ariel, esprit de l'air, une tempête destinée à faire s'échouer le navire de ses ennemis. Les naufragés devront survivre sur une terre rendue hostile à grand renfort de sortilèges.

On peut aisément imaginer que le potentiel cinématographique et théâtral de cette oeuvre - on ne compte plus les adaptations portées sur scène et grand écran - ait trouvé une résonance particulière chez Crystal Pite. Ses chorégraphies reflètent souvent sa passion pour d'autres formes d'art, en particulier la littérature. En 2002, la pièce Field: Fiction avait été inspirée par un ouvrage d'Annie Dillard, En vivant, en écrivant.

Cette fois, c'est un scénario datant de 1611, où s'entremêlent le merveilleux et la science, les dieux et les hommes, l'illusion et la réalité qui n'a pas manqué d'interpeller la danseuse et chorégraphe. Son désir se serait cristallisé autour d'une image, laquelle a donné l'impulsion première au processus artistique.

«J'étais intéressée à travailler sur l'idée du naufrage, explique la chorégraphe dont l'entrevue par téléphone est ponctuée par les cris de son bébé. J'ai ensuite été touchée par les thèmes plus profonds que développe la pièce: ce renoncement de la vengeance au profit du pardon. Ça m'a vraiment saisie.»

Elle a confié à Éric Beauchesne, le rôle principal de Prospero - «pour sa maturité artistique, sa capacité physique à endosser le personnage, et sa relation très forte en tant que partenaire des autres danseurs». Et à Cindy Salgado, celui de Miranda, la jeune femme innocente et protégée par son père, qui finira par aborder la maturité grâce à l'amour.

Masques et craie

En amorçant la pièce avec les personnages masqués et leurs répliques stylisées de craie blanche, la chorégraphe a choisi d'exposer d'emblée la trame narrative, pour laisser place, dans la seconde moitié du spectacle, à une dimension plus intime.

«Il s'agissait d'abord d'exposer le récit de la pièce au public pour ne s'occuper, en deuxième partie, que des émotions», explique-t-elle en reprenant le combiné des mains de son bébé, décidé à participer à l'entrevue.

C'est la deuxième fois, cette année, que la chorégraphe plonge dans l'univers de La tempête. L'été dernier, elle a participé à la mise en mouvement de l'opéra de Robert Lepage, The Tempest, une expérience «déstabilisante, sur une planète complètement différente, mais fascinante». Entre les deux projets, les mêmes interrogations demeurent, notamment autour du personnage de l'autochtone Cariban, «si difficile à aimer, car si manipulateur».

Insaisissable Tempête...

The Tempest Replica, du 10 au 13 octobre à l'Agora de la danse.