C'est un tour de force: amalgamer les corps, les identités et les âmes d'une vingtaine de danseurs, comédiens, musiciens et chanteurs d'origines culturelles différentes. Ce melting-pot prend son élan dans un ballet éclaté, protéiforme, qui verse tantôt dans le poétique, emprunte au mime et au théâtre, se permettant de faire de l'humour cabotin et s'appropriant sans réserve le bagage d'influences que lui procure sa distribution transculturelle.

Avec leur ambitieux Babel (words), Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet créent un tableau vivant à l'image d'une planète métissée. Une filiforme amazone chaussée de bottes plateformes, qui bouge comme un travesti automate (Ulrica Kinn Svensson), partage la scène avec entre autres un suave et svelte Black américain (croisement d'un prédicateur religieux, d'un danseur de ballet jazz et d'un humoriste); un duo de jeunes gars asiatiques; un pro du breakdance qui exécute aussi des prouesses de yoga; une matrone d'âge mûr belge; de jeunes Londoniens et Australiens, et bien sûr, le très doué Francis Ducharme qui, en territoire familier, fait valoir très éloquemment son identité québécoise.

En 1h40 de déploiement d'une énergie soutenue, Babel (words) transmet beaucoup d'idées, déclenche chez le spectateur une réflexion riche, qui prend diverses avenues. On y rencontre le choc des religions (sept d'entre elles sont représentées sur scène), les cultures à la croisée des chemins entre tradition (transmise surtout par les choix musicaux qui voyagent entre percussions japonaises, chants indiens, musiques turques...) et une modernité exprimée par un nouveau langage qui émerge, quand les cultures se mélangent.

Fabuleusement orchestrée, Babel (words) offre à voir plusieurs jolies images -comme cette «fleur» humaine construite avec l'organisation des corps- et met en valeur l'unicité, le talent de chacun des artistes de sa distribution. Et elle est peut-être là, la vraie tour de Babel, l'idéal impossible pourtant incarné: conserver l'individualité, l'essence de chacun, dans un monde mélangé, chaotique, où le rythme est effréné.

Un souffle de jeunesse, d'espoir, de candeur traverse cette pièce construite en tableaux toujours inventifs et rendus avec une grande précision par des interprètes aux corps intéressants, tant pour leur imperfection et leur singularité. Les danseurs se mêlent et se démêlent entre eux, évoluant autour de structures métalliques qui sont tantôt prisons, échafauds ou boîte à voyager dans le temps. Si bien qu'on est vite bercé par le tourbillon qui balaie la scène du Théâtre Maisonneuve, voyage dans le temps, les territoires et dans l'imaginaire de ses emblèmes vivants d'une planète de plus en plus petite.

Aucun cynisme, beaucoup d'humour et de tendresse, une réflexion sur la possibilité de communiquer autrement et de surmonter la barrière des nationalités et des langues: Babel (words) est un habile et vertigineux voyage dans le monde des possibles.

Babel (words), de Damien Jalet et Sidi Larbi Cherkaoui, ce soir, à 20h, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.