Tout Montréal était de sortie vendredi soir pour la première de L'homme à la tête de chou, du chorégraphe français Jean-Claude Gallotta, inspiré du mythique album éponyme de Serge Gainsbourg chanté par le non moins mythique Alain Bashung, qui aurait dû l'interpréter sur scène s'il n'était parti rejoindre son pote Gainsbarre.

Évoqué par un fauteuil vide, centre de convergence des 14 interprètes, Bashung revit par l'omniprésence de sa voix intense, émouvante aussi, sa voix de la fin cassée mais insistante, toujours sensuelle, qui raconte l'épopée tragisublime de Marilou, shampouineuse garce et païenne, dans les mots de Gainsbourg.

C'est une histoire. L'album de Gainsbourg l'était délibérément et la pièce de Gallotta l'est aussi. Une histoire en 12 tableaux, sur un rythme trépidant, servie par une gestuelle aérienne, ample, qui donne et se donne et occupe tout le plateau. C'est une histoire de rencontres, de fidélité, de relais artistique aussi de Gainbourg à Bashung, de Bashung à Gallotta. Une histoire de mecs dont l'univers noir et blanc, enivrant et poétique, lascif et frénétique, tourne autour des femmes, du désir des femmes, à la fois pousse-au-crime et rédemptrices.

Énergie sexuelle

La danse de Gallotta ne se voile pas le visage, elle ne l'a jamais fait, depuis le choc du spectacle Mammame il y a presque 30 ans, et tant d'autres depuis. Sa danse, au contraire, expose les corps des danseurs dans leurs différences, leur non-conformité, leurs âges, leurs tailles, leurs calibres dissemblables, leur nudité aussi au détour, mais toujours avec leur beauté spécifique, délibérément chargée d'une formidable énergie sexuelle. Sans équivoque. C'est bien la marque pérenne de Gallotta.

On aurait bien tort de croire que cette pièce n'est qu'une illustration dansée mise au service de deux géants de la musique et de la chanson. La musique a d'ailleurs été entièrement réorchestrée par Denis Clavaizolle, qui a ajouté des instruments, des rythmiques, des références différentes à la trame originale, produisant un effet cathartique.

L'homme à la tête de chou est bien la vision singulière, respectueuse et complice mais libre d'un chorégraphe à l'écriture charnelle, nerveuse, parfois douloureuse, jamais indifférente. On lui sait gré d'être parvenu à la véhiculer comme telle jusque dans le corps des spectateurs.

Parfois, les lumières se tamisent au point de découper les corps en jeans et vestes, en chemises blanches ou simplement en culottes et soutiens-gorge noirs, pieds nus ou talons hauts. On jurerait se trouver alors dans un cabaret enfumé sous les volutes croisées de Gainsbourg et Bashung. Sombre, la pièce n'est cependant pas ésotérique. C'est au contraire un spectacle grand public d'accès direct et facile. On en sort avec l'impression d'avoir vécu un fort impact charnel et sans se prendre le chou.

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L'homme à la tête de chou, Gallotta/Gainsbourg/Bashung, du 10 au 13 mars, 20 h, au Théâtre Maisonneuve.