Danse Danse crée un des événements de la rentrée en présentant la mythique compagnie japonaise Sankai Juku, créée et dirigée par Ushio Amagatsu depuis 1975.

Après Kagemi en 2006, les sept hypnotiques danseurs présentent Hibiki. Une expérience physique et sensorielle unique, une beauté plastique stupéfiante, une densité si prégnante que l'on mettra sans doute du temps, pas mal de temps, avant de bien saisir tout ce que notre inconscient et nos sens ont capté, presque dans un état second.

C'est précisément l'objectif d'Ushio Amagatsu: plonger le spectateur dans un environnement singulier, créé par la fusion du geste, de la lumière et des sons, qui fasse affleurer en lui la mémoire originelle. «J'ai travaillé sur l'eau et le sable, dit-il en entrevue, sur la relation entre ces deux éléments fondateurs de l'origine de l'univers. Je pense que le foetus dans la matrice revit l'origine du temps. Le bruit de la circulation du sang dans le ventre de la mère ressemble au mouvement des vagues. C'est la première résonance qui nous parvienne. Nous en gardons la mémoire.»

Aux quatre coins de l'espace scénique sont suspendues quatre clepsydres de verre d'où s'égouttent des perles d'eau, inexorablement, dans de grandes vasques transparentes. Ce rappel du décompte du temps, éternel dans l'absolu et éphémère pour l'humanité, constitue une des constantes du butô. Mais d'ordinaire ce sont quatre filets de sable qui s'écoulent comme des sabliers. On retrouve dans Hibiki d'autres constantes très reconnaissables: les corps des danseurs enduits de cendre blanche qui vole en halos alentour, les filets sanguinolents qui s'écoulent des oreilles, les bouches rouges grandes ouvertes sur un cri muet, les corps demi-nus recouverts de haillons stylisés ou de longues robes transparentes.

Épouvante ou naissance, c'est la question, comme un coup de poing. Rappelons que le butô est la danse née d'Hiroshima, dans les années 50. Mais Amagatsu, plus célèbre représentant de la deuxième génération du butô, a d'emblée opté pour l'esthétique, la poésie, l'exaltation de l'imaginaire, plus que les images choquantes et radicales des débuts. Le propos et l'impact n'en sont que plus forts. Hibiki, en particulier, commence et finit comme une naissance après une saisissante traversée des ténèbres en dix tableaux, entrecoupés de noir total, qui présentent des groupes de trois ou quatre danseurs ou des solos absolument magnétiques.

Alchimie

Le travail de la lumière, balayages, ombres portées, couleurs feutrées, reflets dans les 13 vasques cristallines, est particulièrement marquant: «J'ai beaucoup travaillé sur les lumières, admet Amagatsu. Il a fallu de très longues journées de travail pour parvenir au résultat voulu. Les danseurs bougent en fonction de la façon dont ils ressentent l'air autour d'eux, mais aussi selon leur perception de l'environnement scénique global Chaque élément sur la scène est en constante résonance avec les autres. Ni cérébral ni symbolique, c'est plutôt une alchimie physique.» À regarder Hibiki, on se dit que cette alchimie globale inclut le spectateur captivé par ce qui se meut devant lui. Un simple geste, parfois un mouvement à peine perceptible du poignet ou de la cheville, bouleverse.

Depuis 1982, le Théâtre de la Ville de Paris offre deux mois pleins de résidence à la compagnie Sankai Juku, ainsi que tous ses moyens techniques, pour permettre l'émergence de nouvelles créations. La première a donc lieu là, mais la troupe ensuite tourne inlassablement. Elle aura fait 700 villes dans 43 pays: si Amagatsu parvient en effet à nous replonger dans le ventre du monde pendant une heure et demie, le succès de Sankai Juku est quant à lui planétaire. Hibiki est une grâce offerte. Totalement japonaise et complètement universelle.

Hibiki, de Sankai Juku, ce soir 20h au Théâtre Maisonneuve.