La pièce du dramaturge anglais Willy Russell fait penser d'emblée au scénario de My Fair Lady. Remplacez la jeune fleuriste par une coiffeuse et le professeur de phonétique par un professeur de littérature, et vous avez un peu le cadre de L'éducation de Rita.

Rita, qui vient d'un milieu défavorisé, est admise dans une université «populaire» où elle suivra des cours particuliers avec Frank, professeur de littérature désabusé et alcoolo, qui la prendra sous son aile un peu malgré lui.

La jeune femme qui veut «changer de l'intérieur» est déterminée à s'extirper de son milieu. À 29 ans, elle aspire à quelque chose de plus grand. Mais la pétillante Rita parle comme une charretière et n'a aucune culture littéraire, encore moins de l'écrit. Impossible pour elle de faire des analyses critiques ou des dissertations.

De fait, ses premiers échanges avec Frank sont surréalistes. Les premières scènes livrées par Émilie Bibeau et Benoît Gouin sont d'ailleurs caricaturales à souhait. Comment peut-il en être autrement avec ces deux stéréotypes que tout oppose?

Heureusement pour nous, Willy Russell étoffe son scénario à mesure que se déploie le récit de cette rencontre et le jeu des deux comédiens s'élève tranquillement.

Rita, qui est dotée d'un esprit vif et d'une intelligence intuitive, est tellement motivée qu'elle parvient peu à peu à assimiler les enseignements de son professeur. Ses réflexions sur le sens de ce qu'est un «être cultivé» sont justes. Non, il ne s'agit pas d'aller au théâtre ou à un concert de musique classique pour être cultivé.

Le professeur, séduit par la spontanéité de Rita, s'interroge sur son désir de changement, qui équivaut selon lui à un «formatage» (dont il se croit lui-même prisonnier).

Sa «leçon» sur le sens de ce qu'est une tragédie - une faille chez un personnage qui avance inexorablement vers son destin - soulève justement la question: est-ce que le parcours de Rita est une tragédie? Sera-t-elle capable de devenir quelqu'un d'autre sans se trahir? Sans trahir ses proches? Une question qui vaut aussi pour le professeur et poète déçu: est-il destiné à la dérive et à la boisson?

Bref, il y a une belle matière dramatique dans cette pièce longuette, qui exige par moments une patience bienveillante. 

Des clichés encombrants

Malgré la mise en scène précise de Marie-Thérèse Fortin et la présence charismatique d'Émilie Bibeau et de Benoît Gouin, il y a quand même bon nombre de clichés - le prof alcoolo, amoureux de Rita, jaloux de ses fréquentations, frustré par son élévation - qui sont encombrants.

Une personne issue d'un milieu défavorisé pourrait-elle être inspirée par L'éducation de Rita? La question se pose, mais la réponse est non. Les nombreuses références littéraires - Blake, Forster, Shakespeare, Tchekhov, les soeurs Brontë - s'adressent à un public «cultivé», qui sait faire la différence avec un roman de Danielle Steele, dont Russell se moque gentiment.

La réflexion de l'auteur sur l'élitisme et la portée de l'art (en particulier de la littérature) demeure pertinente. Quand on lit une oeuvre et qu'on parvient à faire des liens avec ce qu'on vit ou ce qu'on ressent, c'est là que la magie opère et que l'art s'insinue en nous. Bien sûr, il nous faut la connaissance des mots et l'ouverture d'esprit, mais la vérité est que cette grâce peut toucher tant le poète que la coiffeuse.

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L'éducation de Rita. De Willy Russell. Avec Émilie Bibeau et Benoît Gouin. Mise en scène de Marie-Thérèse Fortin. Au Théâtre du Rideau Vert jusqu'au 20 avril.