Il a changé le monde de Marcel Dubé. Au TNM, sous la signature de Benoît Vermeulen, Bilan s'éloigne du réalisme à l'américaine et de la nostalgie des années 60. Le metteur en scène situe l'univers de Dubé dans une autre dimension. Dans un brouillard visuel et sensoriel, comme si les personnages de Dubé appartenaient plus à l'inconscient collectif qu'au répertoire québécois.

Et pourtant, William Larose, le protagoniste de Bilan, est toujours vivant. Parvenu, arriviste, malhonnête, cet homme riche et puissant, qui fait passer ses intérêts personnels avant tout, est au coeur de la pièce créée sur scène en 1968. Et des «kings» comme lui, il y en a encore pas mal au Québec, en 2018.

Alors si, 50 ans après sa création, la pièce de Dubé nous parle encore, pourquoi Benoît Vermeulen surcharge-t-il autant sa mise en scène?

Pourquoi bombarder le public avec un flot d'images et d'effets impressionnants, certes, mais d'une beauté glaciale? Pourquoi ne pas faire plus confiance à l'histoire et aux personnages?

C'est cette curieuse impression qu'on ressent durant les deux heures de la production du Théâtre du Nouveau Monde, qui rend un beau, mais curieux hommage à Dubé. La distribution est dans l'ensemble solide. Les costumes signés Linda Brunelle sont magnifiques et abondants. Les éclairages d'André Rioux qui illuminent le vaste décor de Raymond Marius Boucher sont soignés. La mise en scène est très ingénieuse. Mais on reste sur sa faim.

Trois parties, trois univers

On pourrait parler de mises en scène, car les trois parties de Bilan nous plongent dans des univers très différents les uns des autres. Vermeulen fait des clins d'oeil à la fois au passé, au présent et au futur, à coups de projections d'archives et d'images de toutes sortes.

Dans la première partie, durant la fête très alcoolisée chez William Larose, les acteurs jouent avec une gestuelle proche de la danse-théâtre (Danielle Lecourtois a joué le rôle de conseillère aux mouvements.) Un DJ trône au-dessus du plateau. Il intervient durant la représentation, tel un coryphée grec. Au deuxième acte, les acteurs sont transportés dans un studio de télévision, autre clin d'oeil à l'époque des télé-théâtres signés Marcel Dubé. Puis, au dernier acte, nous sommes dans un huis clos sartrien. Les interprètes apparaissent et disparaissent à travers un mur de fumée dans l'espace brumeux. Ce n'est plus dans l'alcool que les personnages se noient, mais dans un épais brouillard sidéral.

Guy Jodoin est bouleversant!

William Larose arrive tard dans la pièce. Mais sa présence se fait sentir constamment. Émule de Maurice Duplessis, Larose veut aider l'Union nationale à tenir tête aux libéraux de Jean Lesage et aux réformes de la Révolution tranquille. Voilà un grand personnage dans l'oeuvre de Dubé, auteur d'un théâtre d'abord de personnages taillés sur mesure pour des acteurs de talent.

Dans ce rôle, Guy Jodoin est excellent! Il incarne l'autorité de l'homme de pouvoir tout en jouant de sensibilité pour qu'on puisse voir la faille du personnage. 

Bilan est aussi une pièce sur la déchéance d'un homme et de sa génération. C'est la critique de l'ère de Duplessis (mort en 1959), avec de «petits» Canadiens français qui croyaient que pour réussir dans la vie, on devait écraser le peuple, et que le profit et l'intérêt personnel devaient toujours passer avant le partage et la collectivité.

À la fin, alors que William Larose est trahi par sa famille et ses amis, il va les maudire tous sans exception. «L'amour, l'amour, c'est le seul mot que tu connais», lance Larose à son fils Guillaume (très bon Mickaël Gouin), parce que le paternel désapprouve le choix de sa conjointe. Au fond, Bilan, c'est la tragédie d'un héros qui a tout... sauf l'essentiel: l'amour.

* * *

Bilan. Une pièce de Marcel Dubé. Mise en scène de Benoît Vermeulen. Avec Guy Jodoin, Christine Beaulieu, Rachel Graton. Au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu'au 8 décembre.

photo Yves Renaud, fournie par le TNM

Guy Jodoin et Mickaël Gouin dans la pièce Bilan, de Marcel Dubé, présentée au TNM jusqu'au 8 décembre