En entrant dans la salle de théâtre, on est surpris par le décor de Bonne retraite, Jocelyne: une jungle avec des fougères, un palmier, un vivarium rempli de rochers, un feu de camp... On est loin du salon d'une famille de la classe moyenne à Québec, chez la protagoniste qui a invité les siens à souper, pour leur annoncer sa retraite prématurée.

Or, Fabien Cloutier s'inspire de la réalité pour mieux démontrer que l'humain, malgré l'évolution technologique, vit encore à l'ère préhistorique, en luttant toujours pour sa survie. À défaut de lance-pierres, l'Homo sapiens s'entretue désormais à coups d'insultes, de lâchetés, de jugements et autres lieux communs. Et ça blesse tout autant.

Esprit caustique et critique

À première vue, la smala de Jocelyne ressemble à beaucoup de familles québécoises. «Bonne retraite, Jocelyne est ma pièce la plus proche du monde dans la salle», a dit l'auteur en entrevue. Si on se reconnaît un peu dans l'histoire, le regard cinglant et pertinent de Cloutier reste un condensé de la famille québécoise, c'est juste et cruel, mais un peu court. D'autant qu'au pays des Plouffe, ce vaste sujet a été (re)visité sans cesse dans la fiction. Mais Cloutier apporte une touche originale, avec sa plume trempée dans l'acide, son humour caustique doublé d'un esprit critique.

Depuis ses solos (Scotstown et Cranbourne), le dramaturge observe, plutôt «écoute», ses contemporains. Avec lucidité. Son travail d'écriture est quasi anthropologique. Par contre, cette partition pour neuf personnages reste moins réussie que les solos mentionnés plus haut.

Sur le plan dramatique, Cloutier cherche ici un peu son souffle. Et la représentation de 70 minutes en souffre parfois, d'autant que sa mise en scène est assez statique. 

La distribution, toujours présente sur le plateau, semble un peu coincée dans le décor luxuriant.

Durant 70 minutes, la famille de Jocelyne se livre à une joute de ping-pong verbale, avec des répliques courtes et des dialogues qui se chevauchent constamment. Le défi est grand pour les acteurs de la production. Dans l'ensemble, il est bien relevé. Mentions spéciales à l'excellente Josée Deschênes dans le rôle de Jocelyne; au jeune Vincent Roy qui joue son neveu Kevin, avec beaucoup de nuance et de sensibilité; enfin, au jeu de Brigitte Poupart qui fait mouche dans la peau de la soeur cadette (hyper) individualiste.

Dur constat

Sous une couche d'amour et d'humanité, le constat du théâtre de Fabien Cloutier est cruel. Il analyse la faillite de nos projets collectifs, la mort du rêve social. C'est le théâtre d'un homme nostalgique du temps où le clan - familial, culturel, social... - était tissé serré.

Au contraire, la famille éclatée de Jocelyne demeure ensemble pour les mauvaises raisons. Chez ces gens-là, on parle constamment sans s'écouter. On étale ses opinions sur tout et sur rien, comme des diplômes et des trophées. On sort les griffes pour défendre son ego, son manque d'estime, sa haine de soi.

Sans réponses

Des siècles de modernité et de connaissances pour en arriver là ? Se déchirer dans des guerres de clans et la peur de l'autre ? Bonne retraite, Jocelyne dresse un sombre miroir de la société. La pièce pose de bonnes questions, sans y répondre, car il n'y a pas de résolution à la fin. Tout le monde quitte la «fête» pour aller se coucher. Jocelyne reste seule avec sa vaisselle à laver et ses rêves évanouis.

Une fin en queue de poisson? Ou un symbole de l'impasse du Québec d'aujourd'hui?

* * * 1/2

Bonne retraite, Jocelyne. Texte et mise en scène de Fabien Cloutier. Coproduction La Manufacture, Théâtre du Trident et Théâtre français du CNA. À La Licorne, jusqu'au 17 novembre. Supplémentaires du 4 au 15 juin 2019.

Photo fournie par le Théâtre de La Manufacture

Bonne retraite, Jocelyne de Fabien Cloutier, est présentée à La Licorne jusqu'au 17 novembre.