L'histoire de Lucrèce Borgia est connue. On l'a notamment vue à l'écran, le petit et le grand. À la seule écoute de son nom, on pense tout de suite intrigues, meurtres et inceste au sein d'une famille espagnole devenue maître de Rome il y a 500 ans.

Tout cela est bien présent chez Victor Hugo, même si plusieurs historiens contemporains contestent aujourd'hui le portrait monstrueux de la soeur de César Borgia tracé par le grand écrivain français. 

La pièce de l'auteur des Misérables possède, cependant, de forts accents shakespeariens.

Hugo sait aborder ici des thèmes politiques dans leur sens le plus cynique, le plus cruel et, malheureusement, le plus universel. On peut penser évidemment à Macbeth et à Richard III.

Comme le roi bossu retors, entre autres, Lucrèce se prêtait parfaitement aux jeux de pouvoir tels qu'ils étaient pratiqués à l'époque. Ni plus ni moins. Et certainement mieux que plusieurs des hommes gravitant autour d'elle. C'est probablement pour cette raison que l'histoire a d'abord retenu le côté obscur, voire diabolique, de Lucrèce Borgia. 

Chez Hugo, elle vit ses derniers jours. La souveraine est cette mère en quête de rédemption auprès de son fils Gennaro, le fruit présumé d'un inceste, qui ignore tout de l'identité de sa génitrice. De Venise à Ferrare, Lucrèce fait étalage de toute sa ruse et de tous ses charmes pour éliminer ses ennemis et sauver la vie de son fils deux fois plutôt qu'une. Dans la « vraie vie », précisons que Lucrèce Borgia est bien morte à Ferrare, mais d'une septicémie en donnant naissance à une fille. 

La version mélodramatique d'Hugo, d'une mère indigne aimant très sincèrement son fils, est exploitée à fond par les artisans de la Comédie-Française, donnant à voir les talents exceptionnels des Elsa Lepoivre (Lucrèce), Éric Ruf (son mari Don Alphonse), Christian Hecq (Gubetta, l'homme de main de Lucrèce) et Gaël Kamilindi (Gennaro). 

La mise en scène alerte de Denis Podalydès ne laisse pas un moment de répit au spectateur, soutenue en cela par la création sonore, très cinématographique, de Bernard Vallery. La scénographie et les costumes sont tout aussi beaux et astucieux.

De la toute première réplique qui trouve un écho pertinent à nos oreilles modernes, «Nous vivons dans une époque où les gens accomplissent tant d'actions horribles», à la dernière scène tragique, en passant par le duel épique entre Lucrèce et son mari, nous avons droit à du grand théâtre classique présenté par une troupe légendaire comme on en voit rarement à Montréal.

Des bémols? Il y en a toujours. Du côté de la sonorisation-projection des voix, certaines répliques ont du mal à franchir les premières rangées de spectateurs. Puis l'humour, présent chez Hugo, est parfois souligné à gros traits à l'aide de mimiques physiques exagérées.

Mais on est à Juste pour rire, il est vrai, oh pardon, aux célébrations du 375anniversaire de Montréal. À nous Lucrèce!

Lucrèce Borgia. Pièce de Victor Hugo. Mise en scène de Denis Podalydès. Au TNM jusqu'au 4 août.