N'en déplaise au chanteur Pierre Lapointe: il y a de l'amour dans l'air sur la scène du TNM. Les oiseaux gazouillent, les jardins fleurissent, les amoureux badinent sous un ciel couleur pastel... Et ce n'est pas du tout, du tout, «quétaine».

D'amour et de jeu, il est bien sûr question dans la comédie classique de Marivaux. Et aussi de plaisirs, de promesses, de beauté (du verbe et de la chair), et beaucoup de confusion des sentiments. Qui a dit que l'amour sera simple?

Le noble M. Orgon veut marier sa fille Silvia à Dorante, le fils d'un marquis. C'est un mariage arrangé, les deux jeunes ne se connaissent pas. Avec la complicité paternelle, Silvia demande à sa servante, Lisette, d'échanger leurs habits. Déguisées l'une en l'autre, les femmes pourront ainsi «examiner» le prétendant avant l'union. Or, Dorante a eu la même idée avec son valet, Arlequin. Orgon et son fils, Mario, auront donc tout le loisir de s'amuser à observer la double intrigue amoureuse, pour mieux rire des quiproquos entre maîtres et serviteurs. Jusqu'à ce que les masques tombent et que l'amour et la vérité jaillissent.

L'ombre de la révolution française

Créée en 1730 à Paris, par la troupe des Comédiens italiens, cette comédie est une oeuvre de transition dans le répertoire de Marivaux. L'auteur du Triomphe de l'amour s'intéresse aux rapports entre les classes, à la montée de la bourgeoisie en France. Sans exposer tout désir révolutionnaire, on sent tout de même le balbutiement de la Révolution française. Les personnages ne sont pas conflits directs, ils ne transgressent pas leur rang; mais ils s'opposent à l'autorité et dénoncent leurs conditions.

Sous la baguette magique d'Alain Zouvi, cette production du Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux transpire de joie, de bonheur et de fantaisie. 

Tout en prenant ses distances face à la légèreté ou la facilité comique, le metteur en scène reste proche de la commedia dell'arte, dans son excellente direction d'acteurs.

Catherine Trudeau et Marc Beaupré sont les deux valets indisciplinés. David Savard et Bénédicte Décary jouent leurs maîtres qui portent les habits des serviteurs (soulignons les magnifiques costumes du XVIIIsiècle, avec une touche de modernité, signés Judy Jonker). Les comédiens sont formidables ; même si Bénédicte Décary semblait forcer un peu son jeu, mardi dernier, lors de l'avant-première. Dans le rôle du paternel, Henri Chassé est très juste. Quant au charismatique Philippe Thibault-Denis, il joue tout en finesse, avec assurance et intelligence, le coquin frangin, Mario.

Le très beau décor de Jean Bard est planté dans un jardin avec une fontaine. Il est éclairé par la riche lumière de Nicolas Ricard. La belle musique de Christian Thomas souligne à merveille l'atmosphère d'amour et d'incrédulité de la pièce. Malgré quelques temps morts - mais les silences suspendus entre les scènes sont importants et signifiants, au milieu de ce marivaudage -, cette production met joyeusement fin à la saison du TNM.

* * * 1/2

Le jeu de l'amour et du hasard. De Marivaux. Mise en scène Alain Zouvi. Au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu'au 20 mai.

Photo fournie par le TNM