C'est Sarah Bernhardt qui aurait été heureuse de voir triompher les deux jeunes acteurs principaux de La divine illusion, Simon Beaulé-Bulman et Mikhaïl Ahooja, ovationnés jeudi soir par un public exalté.

Lors de son séjour à Québec, en 1905, la grande tragédienne française avait en effet invité la jeunesse étudiante (et les journalistes!) à «préparer l'avenir et à former les goûts et les moeurs» d'un pays qu'elle affirmait être «sous le joug du clergé». Elle était alors âgée de 61 ans.

Michel Marc Bouchard s'est inspiré de la visite controversée de l'actrice, répudiée par les autorités religieuses de l'époque, pour écrire cette excellente «fiction historique» qui aborde avec intelligence et sensibilité les thèmes de l'art et de la religion.

La pièce met en scène deux jeunes séminaristes, Michaud et Talbot, le premier issu d'un milieu cossu (c'est le fils d'un ministre) et le second, d'un milieu ouvrier - sa mère et son jeune frère travaillant dans une usine de chaussures. Autant Michaud est enthousiaste et innocent, autant Talbot, marqué par une épreuve, est désabusé.

Les deux jeunes hommes que tout oppose seront chargés de remettre à Sarah Bernhardt - surnommée «la divine» - une lettre de l'archevêché lui interdisant de monter sur scène. En réalité, le clergé avait plutôt tenté de décourager ses fidèles d'aller voir l'actrice...

Sauf que le jeune Michaud vénère Sarah Bernhardt, qu'il a vue sur une scène de Paris. Il sait tout d'elle, connaît par coeur des répliques de ses plus grands succès (comme Ruy Blas de Victor Hugo ou L'aiglon d'Edmond Rostand) et rêve même de devenir auteur. D'où sa cruelle mission.

Même si le texte s'étire parfois inutilement (tout n'est pas obligé d'être narré!), Michel Marc Bouchard réussit avec brio à croiser l'histoire fascinante de la visite de Sarah Bernhardt avec celle du Québec de l'époque, plongé dans l'obscurantisme religieux.

Il faut quand même attendre près d'une heure avant de voir entrer sur scène «La divine» - interprétée avec délice par Anne-Marie Cadieux, qui exprime parfaitement toute l'excentricité, la passion, la révolte et la condescendance de Sarah Bernhardt.

Au cours d'une conférence de presse, l'actrice ne s'est en effet pas gênée pour faire le procès de la société canadienne-française, soulignant «ses progrès en arrière». Elle a même ajouté un dialogue avec le clergé dans la pièce Adrienne Lecouvreur qu'elle interprétait sur scène - défendant l'art en reniant l'Église. Ça ne s'invente pas!

L'art qui bouscule

Le metteur en scène Serge Denoncourt, comme il l'avait fait avec Christine, la reine-garçon du même Michel Marc Bouchard, s'amuse avec toutes ces perles de l'histoire relevées par l'auteur, toujours avec la même rigueur et créativité.

Pour ceux qui se posent la question, oui, la représentation a bel et bien eu lieu, dans la réalité autant que dans la fiction, même si elle a créé toute une commotion.

Michel Marc Bouchard fait ici une belle fleur à l'art, qui parvient parfois à bousculer des idées reçues, à dénoncer des injustices et même à nourrir des révoltes nécessaires.

«Le plus grand danger de la soumission, dira le personnage de Sarah Bernardt, c'est quand elle devient une habitude.»

Les deux jeunes acteurs Simon Beaulé-Bulman et Mikhaïl Ahooja sont effectivement très bons, malgré certains excès. Outre la remarquable performance d'Anne-Marie Cadieux, mentionnons la présence de Luc Bourgeois (Meyer), Éric Bruneau (frère Casgrain), Annick Bergeron (Mme Talbot) et Lévi Doré (Leo).

En mêlant ainsi réalité et fiction, Michel Marc Bouchard nous parle aussi beaucoup de la perte de l'innocence. Autant celle des séminaristes qu'il a imaginés que de la société en général. Tout ça grâce à une collision frontale avec le théâtre. Voilà certainement l'une des pièces les plus intéressantes de la saison.

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Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu'au 5 décembre.