Après avoir plongé dans les profondeurs des tragédies grecques de Sophocle - Les Trachiniennes, Antigone, Électre -, Wajdi Mouawad nous revient avec une pièce beaucoup plus personnelle, sans doute aussi plus terre à terre, avec des traits d'humour bienvenus qu'on ne lui avait pas vus depuis un certain temps...

Soeurs, défendue seule par Annick Bergeron (la Nawal d'Incendies), fait partie de son cycle «domestique», qui a débuté avec Seuls et qui se poursuivra avec Frères, Père et Mère. Une série autobiographique qui s'inspire de l'histoire des membres de la famille Mouawad.

L'auteur de la tétralogie Le sang des promesses, qui a exploré à fond les thèmes de la guerre et de l'exil, continue de s'intéresser à la famille, en nous parlant cette fois essentiellement d'identité et de langue maternelle. Un angle intéressant, même s'il est encore et toujours question de déracinement et de solitude.

Soeurs est le récit croisé de Geneviève Bergeron, médiatrice internationale coincée dans sa chambre d'hôtel d'Ottawa par une tempête de neige, et celui de Nayla, experte en sinistre d'origine libanaise appelée à faire un état des lieux dans la chambre occupée puis désertée par l'avocate médiatrice.

Les deux personnages sont incarnés avec beaucoup d'aisance et de justesse par Annick Bergeron. Pour composer son rôle de Nayla, la comédienne a passé beaucoup de temps avec la soeur de Wajdi. Le résultat est stupéfiant. La métamorphose d'Annick Bergeron est totale.

Mais qu'est-ce qui relie ces deux femmes âgées de 50 ans? L'une est franco-manitobaine, l'autre est libanaise, mais toutes deux vivent à Montréal. Leur «exil» nous est rappelé par les liens qu'elles entretiennent toutes deux avec leurs parents. Des liens qui les confinent à une solitude et une souffrance intérieure.

Scénographie brillante

Il y a un tournant où le réalisme de Soeurs bascule dans l'univers de la fable. S'engage alors un véritable dialogue entre les deux femmes qui trimballent leur lourd bagage et leurs blessures. Malgré un lyrisme parfois pesant, les mots de Mouawad nous parlent avec intelligence de notre quête de sens et de notre besoin d'amour.

La scénographie est brillante. La chambre d'hôtel est le lieu principal de l'action, là où se réfugie Geneviève Bergeron après sa conférence sur la médiation. Une chambre «interactive» où le français est «en panne», une situation qui donne lieu à plusieurs scènes assez cocasses.

Lorsque les grands panneaux se referment sur la chambre, on continue de voir l'intérieur de la chambre grâce à la projection de dessins à l'intérieur desquels la comédienne déambule. Un procédé génial, qui est toujours au service de la dramaturgie de Mouawad et qui nous plonge dans l'âme des personnages.

La pièce prend fin dans un éclat de rires d'enfants, qui remplit instantanément le vide de ces deux âmes soeurs. On dirait bien que M. Mouawad s'attendrit.

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Au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 7 février