Des yeux bien spéciaux scruteront les athlètes lors des Jeux olympiques de PyeongChang dans quelques semaines: ceux du Cirque du Soleil, qui recrute parmi ces sportifs de haut niveau de futurs membres de son équipe, d'agent de casting à entraîneurs ou encore concepteurs de numéros pour l'un de ses nombreux spectacles.

Du podium au cirque: voilà ce qui attend certains d'entre eux, alors que les Olympiques marquent le moment où ils tirent un trait sur leur carrière de compétition.

Ce fut le cas de Jean-Damien Climonet, qui a notamment représenté la France aux Jeux de Nagano en 1998 en ski acrobatique.

L'homme de 48 ans travaille désormais pour le cirque où il a entre autres participé à la création de numéros de vélo acrobatique de BMX pour le spectacle «Volta», et d'autres pour les patineurs acrobatiques de «Crystal», la production sur glace du cirque.

L'acrobatie, il connaît.

Et le cirque bénéficie de son talent et de ses compétences pour créer des numéros circassiens.

M. Climonet touche à tout: il a collaboré à la conception des rampes de vélos, à l'entraînement, aux répétitions des artistes et même à la conception des numéros. «J'ai eu la chance de participer à la création de A à Z d'un numéro», s'enthousiasme-t-il.

Après avoir été approché par le Cirque du Soleil en 2004 pour un atelier de création pour le spectacle LOVE, il a été invité en 2008 comme agent de casting, responsable du département des sports d'action et des sports extrêmes. Il couvrait les compétitions en Europe, notamment de sports acrobatiques pour recruter des talents et rester à l'affût des nouvelles tendances.

Il y a beaucoup de similitudes entre le travail d'athlète de compétition et les divers métiers du cirque, estime M. Climonet pour qui le travail au Cirque du Soleil était «une suite logique». Il y a en commun la discipline, la rigueur, le perfectionnisme et cette recherche du «moment parfait», évoque-t-il. «Et puis, j'aimais cet aspect de montrer la performance de façon différente».

Mais n'entre pas qui veut sous le grand chapiteau du cirque. D'abord, parce qu'il n'est pas facile de recruter des gens du domaine des sports d'action ou des sports extrêmes, explique-t-il. Et aussi parce le travail au cirque requiert un côté artistique, une facilité pour connecter avec les gens, des aptitudes pour la chorégraphie, et même un certain talent d'acteur.

«Même s'ils sont très bons, ils n'ont pas forcément le profil pour le Cirque du Soleil, confie M. Climonet au sujet des sportifs. Il faut mettre son ego au vestiaire. Pour le cirque, c'est la troupe qui domine».

Ils sont 17 ex-olympiens à être artistes de scène au Cirque du Soleil. Et 35 % des artistes viennent du milieu sportif.

Par exemple, Suzannah Bianco, une nageuse synchronisée des États-Unis, qui a remporté une médaille d'or aux Jeux olympiques d'Atlanta en 1996. Elle évolue actuellement dans le spectacle aquatique «O». Ou Ludovic Martin, qui a représenté la Suisse en gymnastique trampoline et qui participe à des numéros dans cette même discipline dans le spectacle acrobatique «Mystère».

On retrouve des sportifs de compétition à divers endroits au Cirque du Soleil: artistes de scène, entraîneurs, agents de casting et directeurs de création, parmi d'autres. Évidemment, la taille, la renommée internationale du Cirque du Soleil et le nombre de ses numéros en résidence et en tournée - 21 actuellement - lui permettent un recrutement de cette nature. L'entreprise compte près de 4000 employés, dont près de 1400 artistes, provenant de plus d'une cinquantaine de pays différents.

Profession: recruteur d'acrobates

Fabrice Becker, lui, a remporté une médaille d'or aux Jeux olympiques d'Albertville, en France, en 1992, dans une discipline toute nouvelle, alors en démonstration. Il a arrêté sa carrière professionnelle en 1999, après une dizaine d'années sur les circuits de coupe du monde en ski acrobatique, dont sa spécialité était le ballet (aussi parfois appelée acroski).

C'est là qu'il a rencontré une dépisteuse pour le Cirque du Soleil. Elle l'a recontacté un an après la fin de sa carrière, alors qu'il faisait une tournée de ski acrobatique aux États-Unis. Elle lui a proposé le même emploi qu'elle: dépisteur.

Séduit, le Français d'origine est débarqué à Montréal le 30 mars 2000 avec ses valises pour y occuper son nouveau poste auprès du cirque.

Celui qui était un gymnaste à la base est devenu spécialisé du recrutement des acrobates, qui pouvaient provenir des disciplines du plongeon, du trampoline ou de l'acrobatie. Il est allé fureter dans diverses coupes du monde, aux Jeux olympiques de Sydney et d'Athènes, parmi bien d'autres endroits pour dénicher des talents pour le cirque.

«Le cirque est intéressé par le talent avec un que ce soit du fin fond de la Mongolie ou de l'Afrique», a expliqué l'homme, aussi enthousiaste après toutes ses années. Le Cirque du Soleil a le meilleur département de casting au monde», soutient-il.

«On veut de gens performants, très ouverts, avec une capacité acrobatique, être capable d'être sur scène, de transcender une performance athlétique de façon artistique».

Avait-il pensé se retrouver un jour au sein d'un cirque? «Absolument pas!», rétorque-t-il en riant.

Mais aucun regret: «le cirque m'a offert un travail qui comprenait l'ensemble de mes passions». Il fait ici référence à la gymnastique, à la musique - il est guitariste et chanteur -  et aux acrobaties.

Puis, il est passé de dépisteur à directeur du casting dans son ensemble, responsable de toutes les nouvelles créations du cirque pendant huit ans.

Il a ensuite occupé des postes au service des unités de création, en innovation et a développé un modèle de recherche et de développement appliqué aux performances acrobatiques, «un R&D très spécialisé», dit-il, pour inventer de nouvelles performances, ou, comme il l'a résumé, pour «continuer à surprendre avec du «wow', du renouveau, de l'innovation».

Il est actuellement directeur de création pour le prochain spectacle du cirque - un secret encore bien gardé.

Et comment la formation d'un athlète olympique sert-il au créateur circassien? «Ma discipline regroupait déjà un amalgame d'acrobatie et d'artistique», répond-il. Avec ce regard double sur la performance de l'humain avec un emballage artistique.

La transition

Pour les athlètes, les Jeux olympiques sont le moment attendu depuis des années. Mais pour certains, cela signifie la fin, car ils prennent leur retraite de la compétition tout juste après.

La transition est dure pour plusieurs. Mais pas pour Jean-Damien Climonet. «Moi, j'ai accepté assez facilement de passer à autre chose.»

Et puis le travail au cirque lui permet de continuer à voyager, comme au temps où il courait les compétitions et les médailles.

Pour Fabrice Becker aussi, la transition professionnelle après les Jeux s'est faite en douceur, alors qu'il sait que pour d'autres, la tâche est souvent difficile et l'avenir incertain.

Le manque d'émotions et de défis peut peser à certains olympiens, mais pas pour lui, car il les a retrouvés au Cirque du Soleil. «Ce que je n'avais pas pressenti avec le cirque, c'est que mon poste allait allier autant de mes compétences, dit-il. Ça, c'est assez unique».

Et selon lui, les deux mondes s'entrecroisent.

Le metteur en scène de l'unique et révolutionnaire cérémonie d'ouverture des Jeux d'Albertville en 1992, Phillipe Decouflé, est un créateur qu'il a retrouvé autour de la table en 2002, en train de concevoir un spectacle pour le cirque. Le concepteur des costumes pour cette même cérémonie travaille avec lui actuellement.

«Ça boucle la boucle imaginaire», dit-il.