Tout a commencé par l'apparition de ce rideau de scène, peint par Salvatore Dalí pour un ballet, Mad Tristan, présenté à New York en 1944. L'imposante toile de 9 mètres sur 15, représentant Tristan et Iseut, a été offerte au metteur en scène Daniele Finzi Pasca (DFP) il y a deux ans par un collectionneur d'art qui voulait lui donner une deuxième vie. Un cadeau pour DFP qui s'en est inspiré pour créer un spectacle de cirque à la fois grandiose et étonnamment intime, explorant l'un des thèmes favoris du peintre catalan: le monde du rêve.

L'acteur et metteur en scène italo-suisse, bien connu ici pour son travail avec Éloize (Nomade, Rain, Nebbia) et le Cirque du Soleil (Corteo), a bien résumé l'histoire de ce cadeau venu du ciel un soir de décembre 2010: «C'est comme si le poissonnier nous avait dit: ''Aujourd'hui, j'ai un gros poisson pour vous. Après, évidemment, il a fallu trouver la recette.'' C'est ce que Daniele Finzi Pasca s'est échiné à faire avec sa compagne Julie Hamelin, directrice de création de sa nouvelle compagnie Finzi Pasca, multipliant les recherches sur Dalí et le surréalisme.

«Le rideau est le 14e artiste sur scène, nous dit DFP. Ce n'est pas le point de référence du spectacle. C'est une épice de plus. C'est une porte d'entrée dans tous ces labyrinthes que nous explorons dans La verità, qui sont ceux du surréalisme de Dalí, mais aussi de notre perception de ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. On réunit des éléments ensemble, des ingrédients, c'est comme faire des gnocchis. Selon les alchimistes, quand tu as les justes choses, elles se combinent toutes seules. C'est ce qui s'est passé avec cette production.»

C'est la méthode organique et intuitive de DFP, qui a présenté ici il y a deux ans la très belle pièce Donka, une lettre à Tchekhov, créée dans le cadre du 150e anniversaire de naissance du dramaturge russe. Une minutieuse recherche pendant laquelle le créateur et son équipe glanent ici et là tous les éléments menant à la construction d'un univers, à la recherche des bonnes images acrobatiques, des ambiances sonores et visuelles justes, le tout porté sur scène avec subtilité, chaleur, poésie et humour.

Dans un des extraits présentés aux médias la semaine dernière, on peut voir une énorme tête de cheval suspendue au milieu de la scène pendant que des danseurs à plumes y vont d'un numéro de cabaret inspiré des années 40, sur une musique de Maria Bonzanigo enregistrée avec l'Orchestre symphonique de Lugano. «Il y a des éléments récurrents dans l'imagerie de Dalí, comme le cheval, explique DFP. Que représente-t-il? Nous avons rencontré plusieurs spécialistes de Dalí et je peux vous dire qu'il y a autour de lui tout un monde de visions et d'interprétations. Le cheval, qui symbolise sans doute la puissance, nous, on le fait voler. C'est une image qui nous permet de raconter nos rêves à nous.»

Ces références visuelles à Dalí, il y en aura plusieurs, nous assure Julie Hamelin. «Dalí était quelqu'un d'excentrique et de provocateur, qui aimait par exemple porter une tête de rhinocéros en se levant le matin. Un jour où il donnait une conférence, il s'est même présenté dans un costume de scaphandrier...» «On baigne dans le surréalisme de Dalí, enchaîne DFP, dans l'idée du rêve, d'une réflexion intérieure sur la psychanalyse, qui l'obsédait. La paranoïa de Dalí devient intéressante vu que nous sommes plus oniriques. C'est comme une rencontre entre nos deux langages; le sien, qui est plus sombre, et le nôtre, qui est plus proche de l'univers de Chagall.»

Des références à Dalí, donc, mais quelle place les créateurs ont-ils fait à Tristan et Iseut représentés sur la toile de Dalí? «Le récit de Tristan et Iseut n'a jamais été décliné dans une forme acrobatique, répond DFP. Sur la toile de Dalí, ils sont représentés, lui avec une cape bleue fissurée, elle avec une tête de pissenlit, les deux sont voilés. Ça nous renvoie à une réflexion sur le jeu de l'acteur et sur la représentation de l'art.» «l'histoire d'amour, tragique, de Tristan et Iseut, ajoute Julie Hamelin, nous renvoie aussi à celle de Dalí et de sa femme Gala, qui nous ont inspiré plusieurs duos où des couples dialoguent entre eux.»

De nouveaux appareils de cirque ont aussi été créés spécifiquement pour ce spectacle. «Dalí s'est beaucoup intéressé à la psychanalyse, mais aussi à la science, explique DFP. Il a d'ailleurs tout un discours sur l'ADN. On a donc décidé de construire de nouveaux appareils acrobatiques qui reflètent son intérêt pour la science.» Le scénographe Hugo Gargiulo a inventé un appareil aérien baptisé l'ADN, une structure verticale en spirale; vous verrez également un appareil aérien en forme d'oeil, très dalinien, sorte de croisement entre un cerceau et un trapèze. Autres nouveautés: la Zig, une immense roue conçue par le Français Tony Vignetto; et enfin un ''Carré'' suspendu par des câbles, conçu par Marie-Ève Hémond.

Dans le spectacle, il y aura aussi des projections vidéos sur la toile (réalisées par Roberto Vitalini). «Ce sont des projections qui font ressentir la fluidité de la peinture de Dalí, qui fait contrepoids à ses formes plus sculpturales, plus figées, explique DFP. C'est une façon de mieux sentir les mouvements qu'il y a dans le rideau. Il y a aussi le jeu des ombres de Dalí dans sa toile, précise Julie Hamelin. Certains objets ont des ombres, d'autres non. C'est un terrain de jeu intéressant dans notre travail sur les éclairages.»

La verità, qui puise dans toutes les disciplines artistiques, demeure un spectacle de cirque. «Nous avons créés 19 numéros de cirque, note Julie Hamelin, beaucoup de numéros au sol, dont un duo de main à main, plusieurs numéros de jonglerie aussi, un french-cancan de roue Cyr, un duo clownesque, car il y a beaucoup d'humour dans le spectacle. Et de nombreux numéros aériens, notamment avec ces nouveaux appareils qui s'apparentent au cerceau, au trapèze danse et aux sangles, mais qui ne le sont pas tout à fait. Plusieurs artistes ont joué dans Nebbia, mais tous sont familiers avec notre univers. Cinq des 13 interprètes sont québécois.»

La verità, espèrent ses créateurs, tournera pendant au moins cinq ans. Après les représentations de Montréal, la troupe de Finzi Pasca s'en ira en Amérique latine (Colombie, Panama, Uruguay), puis au Brésil pendant quatre mois (Rio de Janeiro, São Paulo, Porta Alegre, Belo Horizonte et Brasilia). La tournée européenne débutera l'automne prochain en Suisse, à Lausanne. Suivront des représentations en France, Belgique, Espagne, Italie, Angleterre et aussi en Russie.

Du 17 janvier au 3 février au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.

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Projets à venir


1. Finzi Pasca, qui a signé la mise en scène du spectacle de la cérémonie de clôture des Jeux de Turin (2006), fera la conception du spectacle d'ouverture des Jeux paralympiques de Sotchi, en Russie, en 2014.

2. L'ouverture du nouveau Théâtre Mariinsky à Saint-Petersbourg, en Russie, avec la mise en scène de l'opéra Carmina Burana, également en 2014. DFP y avait créé l'opéra Aïda à l'été 2011.

3. La reprise de l'opéra Pagliacci, de Leoncavallo, au Lincoln Center de New York en 2013.

4. La reprise du spectacle solo Icaro à New York pour la première fois au printemps 2014. Au Théâtre La Mamma. La pièce a été créée par DFP il y a 17 ans.

5. La réalisation d'un film, La piazza San Michele, en cours de scénarisation.