Anne-Marie Cadieux et Alexandre Goyette n'avaient jamais travaillé ensemble. Ni au théâtre ni à la télévision. Le metteur en scène Robert Lepage les a rassemblés pour interpréter Volumnia et Caius Marcius, la mère ambitieuse et le fils guerrier soudés l'un à l'autre que l'on retrouve dans Coriolan, le chef-d'oeuvre de Shakespeare. Nous avons rencontré les comédiens alors qu'ils apprivoisaient l'imposant dispositif scénique arrivé directement du Festival de Stratford, en Ontario, et qui a nécessité 15 jours de montage pour sa série de représentations au TNM.

Ce spectacle, dans sa forme actuelle, a été créé au Festival de Stratford en juin dernier. J'imagine que c'est très tentant d'aller voir le spectacle avant de s'y glisser?

Alexandre Goyette: J'y suis allé vers la fin de la run. Je ne l'ai pas vu comme un vrai spectateur. J'étais déjà en train de travailler. Je voulais voir André Sills qui jouait Coriolanus. Mais en même temps, ce qui est formidable avec Robert, c'est qu'il n'a pas voulu faire un copier-coller de Stratford.

Anne-Marie Cadieux: En effet, on reprend ce qui a été conçu à Stratford, mais on travaille avec l'énergie des acteurs d'ici. Cela dit, moi je n'ai pas voulu aller voir le spectacle à Stratford. D'ailleurs, Robert n'encourageait pas ça. Il ne tenait pas non plus à ce que l'on regarde les vidéos.

Alexandre Goyette: C'était fascinant de voir Robert travailler avec nous. Parfois, l'assistante lui rappelait comment il avait fait certaines choses à Stratford. Il intégrait alors le truc. Mais à d'autres moments, il décidait que le truc ne marchait pas avec nous. On trouvait alors autre chose.

Il y a aussi la langue de Michel Garneau qui signe la traduction qui doit également donner à la production québécoise un ton et un rythme différents.

Anne-Marie Cadieux: Tout à fait! Et c'est une très belle langue, très simple, très précise.

Anne-Marie, il faut absolument que je vous ramène en 1992, au moment où vous avez joué dans Le cycle de Shakespeare (Coriolan, Macbeth, La tempête) mis en scène par Robert Lepage. Dans Coriolan, vous y teniez le rôle de Volumnia. C'est tout de même unique pour une actrice de pouvoir reprendre le même personnage 25 ans plus tard.

Anne-Marie Cadieux: Coriolan est l'une des pièces fétiches de Robert. Il aime la revisiter. Il a une vision très claire de Volumnia, mais il aime la faire évoluer. La relation mère-fils est fascinante dans cette pièce. On peut avoir une vision psychanalytique quand on aborde cette oeuvre. Cette relation fusionnelle dicte toutes les décisions que Coriolan prend. Volumnia n'a pas de mari. Son histoire d'amour, elle la vit avec son fils. D'ailleurs, la première réplique de Volumnia est: «Si mon fils était mon mari...» Ça dit tout.

Est-ce que le texte est revenu facilement après 25 ans?

Anne-Marie Cadieux: J'ai dû travailler, mais oui, c'est revenu assez vite. C'est fou de penser qu'un texte puisse s'inscrire dans un corps pendant toutes ces années.

Et pour vous, Alexandre, comment s'est déroulé l'apprentissage du texte?

Alexandre Goyette: J'ai commencé en mai dernier. L'été dernier, j'ai pris deux semaines de vacances en famille. Je profitais des siestes de mes enfants pour aller au bord de la mer et apprendre le texte.

Anne-Marie Cadieux: Comme la période de répétition était condensée, on nous a demandé d'arriver «texte su». Normalement, on a 110 heures de répétition. Dans ce cas-ci, on a eu une soixantaine d'heures en octobre.

Depuis lundi, vous travaillez dans le décor. C'est une mise en scène extrêmement complexe car elle comporte plusieurs changements de décors et de scènes. C'est une étape difficile en ce moment?

Anne-Marie Cadieux: C'est comme pour toutes les entrées en salle, mais c'est vrai que là c'est plus gros. Il y a des rails, des micros, ça bouge beaucoup en coulisses...

Alexandre Goyette: Pour faire mon entrée en scène, je dois passer par le décor. Je suis comme un enfant! Ça me ramène au petit garçon que j'ai été et qui avait envie de jouer. Cela dit, c'est un sentier sur lequel on ne peut pas s'égarer.

Anne-Marie Cadieux: C'est une énorme machine, mais ce qui est formidable c'est que tout cela reste artisanal. De la scène, c'est époustouflant pour les spectateurs. Mais en coulisses, il y a des humains qui poussent et qui tirent sur des choses. C'est la magie du théâtre.

Anne-Marie, vous avez souvent travaillé avec Lepage, mais Alexandre, c'est votre première expérience. Comment trouvez-vous cela?

Alexandre Goyette: C'est quelque chose que je n'avais pas imaginé faire dans ma vie. Je l'admirais, mais je ne pensais pas que cela allait arriver. Quand on s'est mis à travailler ensemble, je lui ai dit que c'est grâce à lui que j'ai eu envie de faire du théâtre. J'avais eu des billets pour aller voir Les aiguilles et l'opium au Monument-National. J'avais fumé un gros pétard... Je n'ai rien compris au spectacle, mais j'ai été soufflé par son talent. C'est un homme extraordinaire. Il est simple, sensible... Je l'aime d'amour.

Anne-Marie Cadieux: Ce qui est renversant avec Robert, c'est qu'il n'a peur de rien. Nous, on regarde les machines et on les craint. Lui, il y va, il plonge. Il est toujours en mode résolution. Il y a un problème, il trouve une solution.

Cette production de Coriolan à Stratford n'a reçu que des éloges. Le Washington Post l'a mise dans sa liste des meilleurs spectacles de l'année en Amérique du Nord. Jouer dans un spectacle dont on sait qu'il sera bon, c'est rassurant?

Anne-Marie Cadieux: Je dirais qu'on ne doit pas tenir ces choses pour acquises. Une chose que j'ai apprise au théâtre, c'est qu'on ne sait rien avant la première. L'expérience n'existe pas tant que le public n'est pas là. Ce dont je suis sûre cependant, c'est que la pièce est riche et bonne. Pour le reste, il faut laisser ça au public.