C'est une tradition: quand un humoriste est prêt à dévoiler son nouveau spectacle, il réunit les critiques et le gratin de l'industrie le temps d'une première médiatique. Un exercice coûteux et stressant pour l'artiste qui lui permet de faire parler de lui et de faire un coup d'éclat promotionnel. Au cours des derniers mois, plusieurs humoristes ont pourtant décidé de passer leur tour.

Dans un texte publié dans Urbania l'été dernier, Jay Du Temple a pris le temps d'expliquer les raisons qui l'ont poussé à ne pas faire de première médiatique «comme tout le monde» pour son premier spectacle solo. «Le public est mon producteur. Le public est aussi mon critique. Il critique chaque gag que je lui propose. Le rire est la bonne critique. Le silence, la mauvaise. Alors, si tous les soirs, j'ai des critiques, pourquoi faire une première médiatique?», demandait-il dans sa chronique.

Invité à l'émission Le beau dimanche, Martin Matte a quant à lui expliqué qu'il pouvait se passer de ce coup de pub. «Dans une première, il n'y a rien d'artistique. C'est commercial. Tu veux faire parler du spectacle. On était complet pour l'année et je fais une petite tournée d'un an et demi», a-t-il précisé.

Pour son second spectacle, Adib Alkhalidey a lui aussi choisi de ne pas se soumettre à l'exercice. Mais pour l'humoriste, qui avait organisé une première pour son premier spectacle au Théâtre St-Denis, c'est avant tout afin d'offrir aux critiques une expérience plus réaliste.

«Une première est l'évènement le plus stressant. Sur le coup, plus la journée avance, plus tu as envie de vomir! En même temps, j'avais 24 ans et c'était mon premier spectacle. En plus, ce n'est pas plaisant d'inviter tout le monde qui vient te juger.»

Que ce soit favorable ou non, précise Adib Alkhalidey. «Pour mon deuxième spectacle, j'ai invité les médias au spectacle de leur choix. Je trouvais plus le fun qu'ils viennent voir le vrai spectacle, la première n'étant pas représentative de l'état de l'humoriste en général. L'appréhension ce soir-là rend ça particulier.»

En plein rodage de son troisième spectacle, Semi-croquant, Alexandre Barrette proposera en février 2019 une idée plutôt audacieuse: il ne fera pas une, mais trois premières médiatiques, dans de petites salles (Le Bordel, Le Balcon et le Théâtre Fairmont).

«Je voulais offrir aux médias l'occasion de venir critiquer le spectacle, mais je voulais le faire dans des conditions plus favorables que la grosse première froide avec beaucoup d'humoristes, des gens du milieu, moins de spectateurs, dans des conditions stressantes, explique l'humoriste. Tu ne peux jamais recréer dans un endroit de 2400 places la chimie d'une salle comme Le Bordel avec le public. C'est anti-humour de faire une première au Centre Bell ou au St-Denis 1.»

Encore sa raison d'être

Pour Benjamin Phaneuf, producteur et agent d'humoristes comme Louis-José Houde et François Bellefeuille, la première médiatique a encore sa raison d'être. Il voit clairement une influence de l'évènement sur les ventes de billets de ses artistes.

«Dans la semaine suivant la première d'un spectacle de Louis-José Houde, les ventes de billets peuvent augmenter de 300 % à 500 %. C'est comme si les gens attendaient de lire la critique pour acheter leurs billets. Pas les fans de la première heure, mais les indécis. Et ils sont nombreux, explique Benjamin Phaneuf. Je pense que c'est un privilège d'avoir la chance d'être vu et de faire parler de son spectacle par des journalistes. Oui, il y a un risque à prendre, mais il vaut la peine d'être pris. Sinon, plus personne ne ferait de première.»

Si les retombées peuvent être considérables, le coût d'une première médiatique peut être colossal: le nombre de billets de faveur varie de 50 % à 75 % un soir de première.

«Si on en fait encore malgré tout, c'est qu'il y a un aspect positif autour de tout ça», ajoute le producteur et agent d'humoristes Benjamin Phaneuf.

Attachée de presse de Martin Matte, Patrick Huard et François Bellefeuille, Martine Laforce considère que les premières restent une bonne manière de faire la promotion d'un spectacle, même si d'autres avenues s'offrent maintenant aux artistes. «À mes débuts, les premières étaient primordiales, car il n'y avait pas de réseaux sociaux. Je trouve ça encore important, mais parfois moins nécessaire. Maintenant, on peut aussi faire du bruit avec des capsules humoristiques, par exemple. Ultimement, c'est l'artiste qui décide. C'est lui qui monte sur scène», lance Martine Laforce.

Serait-il donc envisageable de se reposer uniquement sur la promotion sur les réseaux sociaux? «J'ai déjà vu des spectacles de la relève se baser sur les critiques d'influenceurs. Mais je n'ai rien vu sortir de l'ordinaire et devenir populaire juste avec ça, observe Benjamin Phaneuf. Quand j'étais très jeune, j'ai vécu une époque où les journalistes ressemblaient plus à des influenceurs qu'à des critiques! Tu étais fin avec eux, tu les invitais à souper et ils parlaient en bien de ton spectacle. Cette époque est révolue!»

La critique ne dicte pas pour autant le succès d'un spectacle. Il n'est pas rare de voir un humoriste vendre des dizaines de milliers de billets tout en ayant mauvaise presse.

«La critique est comme un polaroïd d'un spectacle. On a hâte de la voir. Quand elle est bonne, c'est le fun, car tout le monde est heureux. Mais le lendemain, on passe à autre chose», note Martine Laforce.

Pour Alexandre Barrette, la critique demeure importante, même s'il a appris à la prendre avec un grain de sel. «J'ai plutôt été privilégié. Je respecte ce métier-là. Mais ça m'aide à relativiser quand je lis des critiques positives de spectacles que j'ai plus ou moins aimés et vice versa. Ça reste l'opinion d'une personne», conclut-il.