Si Fabien Dupuis a fait sa sortie du placard dramaturgique en 2010, l'acteur présente cet automne au Théâtre d'Aujourd'hui sa première pièce, dans laquelle il joue aussi. Retour sur un accouchement difficile.

Il a été long et périlleux, le chemin de Fabien Dupuis jusqu'à la création d'Isabelle, un monologue théâtral tragi-comique qui constitue sa première pièce. À la fin août, juste avant de plonger dans les répétitions, l'acteur s'est blessé lors d'un tournage télé. Et il ne s'est pas manqué!

Fabien Dupuis participait à l'émission Rêves d'acteurs, qui sera diffusée sur ARTV l'hiver prochain, dans laquelle on lui a demandé de réaliser son fantasme de comédien. Amateur d'arts martiaux et ceinture noire en karaté, Dupuis a exécuté une scène de film de kung-fu «à la Bruce Lee». En sautant, il a chuté du toit d'une voiture et s'est éclaté l'os du talon. Aïe...

Six semaines plus tard, l'acteur arrive en béquilles à l'entrevue, dans un café de la Petite-Patrie: «J'ai poussé la machine trop loin, dit-il. Je me sentais invincible. Et là, je le regrette. Pas vraiment pour le spectacle, parce qu'avec Marc Béland (le metteur en scène), on a adapté mes déplacements. Ce qui me manque, c'est de ne plus pouvoir prendre ma fille à bout de bras.» Cette dernière est arrivée dans sa vie et celle de sa blonde, la comédienne Valérie Blais, il y a neuf mois.

Dur désir

Longtemps, Fabien Dupuis a vécu dans le désir des autres. Celui des parents, des professeurs, des metteurs en scène, des producteurs et, bien sûr, le désir du public. C'est normal, direz-vous, pour un acteur dont le boulot est d'exister dans le regard de l'autre. Or, pour bien faire ce métier, il faut autant désirer... que se faire désirer.

«J'aime mon métier, dit le comédien, mais il me manquait quelque chose. J'avais aussi besoin de parler de mes rêves, de mon imaginaire. Toutefois, je ne me sentais pas assez intelligent pour revendiquer le titre d'auteur ou de créateur. Pourtant, j'écris depuis 15 ans en cachette. J'ai plein de textes inachevés dans mes tiroirs.»

Quand Fabien Dupuis a vu J'ai tué ma mère, il a autant ragé que pleuré. «Je le trouvais génial, Xavier Dolan, de réaliser un film à 19 ans, d'aller déjà au bout de ses ambitions. Alors que moi, j'avais plus de 40 ans et j'étais incapable de finir un projet artistique. Je faisais tout aux trois quarts... puis je laissais tomber.»

«Créer, c'est toujours parler de l'enfance», disait Jean Genet. C'est exactement ce que Fabien Dupuis a fait avec Isabelle, qu'il donnera à la salle intime du Théâtre d'Aujourd'hui dès mardi. «C'est du stand-up tragique, dit-il. La pièce raconte l'enfance de Daniel et son idylle avec sa cousine de 8 ans, qui lui donne toute la tendresse et l'attention qu'il n'a pas à la maison.» Car Daniel fait partie d'une famille dysfonctionnelle dont les membres «s'aiment mais ne savent pas comment se le dire».

Violence au féminin

Dans Isabelle, Fabien Dupuis tue sa mère encore plus directement que Xavier Dolan. La cruauté maternelle y est dépeinte à l'extrême. Sujet assez tabou: peu d'oeuvres abordent les sévices des mères sur leurs enfants.

«C'est primordial, la place de la mère dans la vie d'un homme. Les dommages ou les bienfaits qu'elle peut faire à un fils. Mais c'est aussi important de tuer sa mère, explique l'auteur. Dans le sens symbolique, bien sûr. Notre (mauvaise) mère intérieure. Il y a plein d'hommes de la génération des Invincibles qui en sont incapables. Avec pour résultat qu'ils ont peur des femmes ou de leur blonde.»

Le comédien se produit lui-même avec ses économies de Virginie. «Après toutes ces années à jouer pour les autres, j'avais besoin de parler fort et de bouger large», dit-il.

Fabien Dupuis a été encouragé par des amis et complices, dont Marc Béland et Michel Marc Bouchard. «Je collabore avec mes idoles au théâtre. Je suis privilégié. Ça m'aide parce que c'est un long processus accoucher d'une pièce.»

Aussi long que devenir un homme.

Isabelle, du 16 octobre au 3 novembre. au Théâtre d'Aujourd'hui.