Nous savons tous, Occidentaux, que plusieurs pays d'Afrique sont plongés dans le chaos, la guerre et la pauvreté épouvantable. Nous lisons les dépêches d'agences de presse, Nous regardons les reportages à la télévision. Nous écoutons les coopérants en développement international qui sonnent l'alarme. Nous sommes indignés. Puis nous oublions.

Ce n'est pas de la lâcheté ni de l'insensibilité, mais un simple réflexe de défense: la conscience occidentale ne pourrait pas supporter d'avoir continuellement sur la conscience le poids de ce gâchis provoqué en (grande) partie par la colonisation puis la surexploitation des richesses de ce continent.

L'auteure catalane Lluïsa Cunillé illustre brillamment (et de l'intérieur) cette attitude dans Après moi, le déluge, à l'affiche du Quat'Sous, dans une traduction de Geneviève Billette. La pièce met en scène deux Européens blancs exilés en Afrique, dans une chambre d'hôtel de Kinshasa, au Congo. Un homme d'affaires et une femme interprète. Ils ne se connaissent pas. Mais ils ont en commun la froideur et le détachement des âmes exilées qui cachent de mystérieuses blessures.

Un père de famille africain a demandé de rencontrer l'homme pour lui proposer une «affaire». On ne le verra jamais, car la chaise où il s'assoit restera vide! C'est dans la bouche de la traductrice que le personnage s'exprime. Le procédé est saugrenu au départ, mais il s'avère efficace: le spectateur se concentre sur les réactions de l'Européen au récit du Congolais.

«La parole ne tue pas. Personne ne devrait s'offenser pour des paroles», dira l'Africain. Et c'est par les mots que ce dernier se vengera du sort de son peuple et de l'indifférence de l'Occident.

Ce huis clos est bien servi par la mise en scène sobre et efficace de Claude Poissant. Il a dirigé avec finesse un superbe duo d'acteurs. Germain Houde est convaincant dans la peau du businessman dont le succès en affaires lui fait oublier les cicatrices de son coeur. Marie-France Lambert nous étonne au début par son ton frivole, mais cette légèreté cache aussi un passé tourmenté et une grande solitude.

Finalement, le choix de la République démocratique du Congo n'est pas un hasard. Ce pays au centre de l'Afrique déchiré par une guerre civile, qui recèle des richesses fabuleuses, est un immense paradoxe. Et à défaut de le résoudre, Après moi, le déluge nous confronte habilement avec ce paradoxe africain.

Après moi, le déluge, au Théâtre de Quat'Sous jusqu'au 18 mars.