John Hemingway a assisté à deux lectures d'À l'ombre d'Hemingway. Le fils de Gregory Hemingway, troisième garçon d'Ernest, habite Montréal depuis près de quatre ans. Marié à une Italo-Canadienne, il travaille comme traducteur et a publié, en 2007, une biographie, Strange Tribe, qui relate la vie de son père. Un homme qui a eu huit enfants tout en menant une vie de travesti. À 65 ans, Gregory Hemingway a même changé de sexe avant de mourir quelques années plus tard dans une prison pour femmes.

John Hemingway estime que Stéphane Brulotte a réussi à exploiter de belle façon cette histoire. «Je pense qu'Ernest était amoureux d'Adriana, dit-il, même s'il aurait été incapable de consommer l'amour avec elle, parce qu'il était tellement amoindri, il buvait beaucoup, tout en prenant des médicaments, parce que, comme mon père, il était bipolaire. Le mélange de l'alcool et de la médication le rendait très instable, suspicieux et nerveux. Et puis, je pense qu'à ce stade de sa vie, il ne voulait pas quitter sa femme Mary.»

Le portrait que l'on fait d'Ernest Hemingway est souvent incomplet, estime son petit-fils âgé de 51 ans, qui ne l'a toutefois jamais connu. «On le dépeint comme un survivant de la guerre, un homme macho qui chassait, qui buvait beaucoup. Et d'une certaine manière, tout ça est vrai. Mais il était beaucoup plus complexe que cela. C'était un véritable artiste, très sensible, très influencé par Gertrude Stein, qui était lesbienne, c'est important de le souligner. C'est la seule personne qui le relisait et le corrigeait, et qui lui a aussi communiqué son intérêt pour la tauromachie. Ernest, qui était son meilleur élève, a tout siphonné de cette femme-là.»

Dans la biographie de son père, John Hemingway raconte comment son grand-père a réagi la première fois qu'il a surpris son fils en train de se déguiser en femme. «Mon père devait avoir 11 ans lorsque Ernest l'as surpris en bas nylon. Il l'a regardé étonné, n'a rien dit, et a quitté la chambre. Deux jours plus tard, près de la piscine, il s'est assis à côté de lui et il lui a simplement dit: «Giggy, you and I come from a very strange tribe». C'est tout. Je pense que mon père et lui se ressemblaient beaucoup. Ernest l'acceptait comme il était. Je ne dis pas qu'il avait une sexualité ambiguë comme mon père, mais il a eu des relations amoureuses très troubles et je crois qu'il était, comme beaucoup d'artistes, à la frontière des genres.»

La pièce de Stéphane Brulotte fait le portrait d'un homme sur son déclin, plus fragile que l'idée qu'on se fait de lui. Ce point de vue, John Hemingway l'a tout de suite apprécié, lui qui a eu de la difficulté à trouver un éditeur pour sa biographie qui montre une facette de son père et de son grand-père que les gens, d'après lui, ne veulent tout simplement pas connaître. «Ce qui m'a frappé dans la pièce de Stéphane, c'est qu'il s'agit d'une pièce où règnent les femmes. Sa femme Mary, Adriana et sa mère. Au milieu de laquelle il se trouve, lui, une icône masculine. Ce portrait est tout à fait à l'image de sa vie, où il a toujours été entouré de femmes. Je trouve ça intéressant.»