Belle affiche au petit Théâtre Prospero la semaine prochaine: l'adaptation de Sonate d'automne, écrit et réalisé par le Suédois Ingmar Bergman en 1977. Dans une mise en scène de Marcel Pomerlo. Avec Andrée Lachapelle dans le rôle principal.

Rares sont les adaptations pour le théâtre des scénarios de films du cinéaste suédois, mort en 2007. Ce qui n'a pas empêché Marcel Pomerlo, amateur des films de Bergman et instigateur du projet, de tenter d'obtenir les droits d'adaptation de Sonate d'automne auprès des héritiers du prolifique réalisateur.

«Depuis que je suis enfant, je suis fasciné par l'univers de Bergman, nous confie Marcel Pomerlo. Sonate d'automne est sans doute un de ses textes qui se transpose le mieux à la scène. Bergman, qui a longtemps dirigé un théâtre, disait d'ailleurs qu'il avait écrit ce texte-là comme une pièce.»

Il y a deux ans et demi, il a donc entrepris les démarches, avec le Prospero, pour monter la pièce. Il a également joint les comédiens avec qui il voulait travailler, sans savoir si le projet allait voir le jour. «J'avais mon quatuor en tête. Et je souhaitais travailler avec Andrée Lachapelle» raconte Pomerlo.

«Moi aussi j'adore Bergman, renchérit Andrée Lachapelle. J'ai vu la plupart de ses films, et quand j'ai vu Sonate d'automne, je me souviens d'avoir été totalement bouleversée par le sujet. C'est une histoire qui remet en cause bien des choses dans nos rapports avec la famille. C'est un texte très troublant.»

En quelques mots, Sonate d'automne raconte l'histoire d'une pianiste de renom, Charlotte, qui a consacré sa vie à la musique et sacrifié, d'une certaine façon, sa vie de famille. Eh oui, puisqu'elle a quitté son mari et ses deux filles - après la mort accidentelle de son garçon de 4 ans - pour rejoindre son amoureux et poursuivre sa carrière de musicienne.

Mais voilà, après sept ans d'absence, et à la suite du décès de son deuxième mari, Charlotte s'en retourne voir sa fille Eva (Marie-France Marcotte), qui vit isolée dans un presbytère avec sa soeur Helena (Chantal Dumoulin), lourdement handicapée, et son mari Viktor (Gabriel Arcand), un pasteur qui a perdu la foi.

Sonate d'automne relate en 20 tableaux ce face-à-face entre Charlotte et Eva, réunies par hasard au cours d'une nuit d'insomnie. Ce huis clos, filmé avec des gros plans dans le film de Bergman, traite donc de la relation entre les deux femmes. C'est une pièce sur l'abandon, la mort et le pardon, qui se termine par le départ de Charlotte, à l'aube.

«Eva veut simplement dire à sa mère qui elle est, ce qu'elle a vécu, dire sa vérité, précise Marcel Pomerlo. Et Eva exige de sa mère qu'elle fasse la même chose. Au cours de cette longue nuit, les deux femmes laissent tomber le rapport mère-fille pour se parler d'égale à égale; en fin de compte, toutes les deux sont très fortes et très fragiles. C'est ça, l'humanité de Bergman.»

Le film d'Ingmar Bergman mettait en vedette l'actrice américaine - d'origine suédoise - Ingrid Bergman (aucun lien de parenté avec le réalisateur). Et d'après plusieurs témoignages, le tournage fut assez houleux entre les deux Bergman, mais aussi entre Ingrid et Liv Ullmann (femme et muse d'Ingmar), qui lui donnait la réplique.

Il faut dire qu'Ingrid Bergman avait beaucoup d'affinités avec le personnage de Charlotte, puisqu'elle avait, elle aussi, quitté son mari et sa petite fille pour aller rejoindre en Italie son amant, le réalisateur italien Roberto Rossellini, avec qui elle a eu trois enfants, dont l'actrice Isabella Rossellini. Son interprétation de Charlotte était, on le devine, une confrontation.

«Il faut aussi dire qu'Ingrid n'avait pas joué dans sa langue depuis au moins 40 ans, rappelle Pomerlo. Et puis, elle avait composé son personnage en jouant devant un miroir. Tout était placé, c'était la méthode Hollywood. Ingmar a voulu défaire tout ça, la filmer avec des gros plans. Sans maquillage. Dans une économie de mouvements. Avec une sobriété dans l'expression.»

Comment Andrée Lachapelle s'est-elle préparée pour ce rôle exigeant? «J'ai revu le film l'an dernier, mais il faut vite l'oublier, note la comédienne âgée de 78 ans. Parce que je ne suis pas Ingrid Bergman, je ne joue pas comme elle. J'ai dû trouver ma voix. En travaillant le texte. Le personnage de Charlotte est complexe. Elle a un côté qui peut paraître superficiel, mais elle est excessivement fragile. Et puis, elle a une peur terrible des émotions.»

La fin est ouverte. Marcel Pomerlo pose la question: ce qu'on a perdu, est-ce qu'on peut le retrouver? «Moi, je pense que c'est possible, conclut Andrée Lachapelle. Si on veut s'en donner la peine. C'est sûr qu'il y a un changement chez Charlotte. Mais quelle sera la suite? Est-ce qu'elles vont se revoir? On ne sait pas.»

Sonate d'automne, au Théâtre Prospero du 13 avril au 8 mai, puis au CNA (à Ottawa) du 26 au 29 mai.