On peut tourner autour du sujet, «téter», ergoter, mais la vérité toute simple, c'est que Martin Léon a présenté vendredi soir, au National, un spectacle tout simplement extraordinaire, où les chansons de ses disques Le facteur vent et Kiki BBQ étaient revues et magnifiées, où la musique occupait toute la place, où la salle était heureuse au cube. C'est ça qui est ça, comprenez-vous...

Avant même que Martin Léon ne lance une note, vendredi, le National rempli à craquer lui a fait la fête, avec cris d'enthousiasme et applaudissements nourris: cela faisait trois ans qu'on ne l'avait vu sur scène, le beau Martin, et son excellent album Le facteur vent (2007) avait manifestement séduit beaucoup de gens de tous âges, avec une forte majorité de fin vingtaine, jeune trentaine. Mais qu'importait l'âge ou le look, ce qui comptait, vendredi, c'était la «miouzik» tous azimuts, les atmosphères sonores qui oscillaient de Daniel Lanois à... ZZ Top, et les magnifiques textes de Léon, étrange auteur-compositeur à la croisée de Sylvain Lelièvre et Jean Leloup!

 

Et cette salle enthousiaste n'a pas du tout été déçue. D'abord à cause de l'attitude du musicien, heureux et humble et serein et drôle et présent tout plein. Ensuite, à cause des cinq excellents musiciens qui l'accompagnent, surnommés les «cinq doigts de la main»: la délicieusement folle et douée Mélanie Auclair, violoncelliste et choriste (habillée d'une robe noire, d'une cravate d'homme et de «chouclaques» - je veux être Mélanie Auclair dans une autre vie); le très, très solide Alexis Dumais à la basse et contrebasse (qui, «juqué» sur un gros bloc, trônait littéralement au-dessus de la tête de Léon); le tout aussi solide Pascal Racine-Venne à la batterie; le maître Rick Haworth aux guitares électriques et steels; enfin le coloré, l'excentrique, l'inventif Martin Lizotte à tous les orgues possibles - dans une autre vie, je veux jouer de l'orgue comme Martin Lizotte!

Sous de superbes éclairages blancs de Jean-François Couture, tous ces musiciens et Martin Léon ont porté encore plus loin 10 des 11 morceaux du disque Le facteur vent, et huit des 12 chansons du premier album du chanteur, Kiki BBQ (2002), dans des orchestrations parfois incroyablement groovy, parfois organiques, parfois planantes, parfois rock tordu ou folk fluide ou gospel inspiré ou reggae ou même disco, parfois avec le bruit des criquets (!) ou un solo de lap steel guitar de Rick Haworth hallucinant, quand ce n'est pas Lizotte qui virait fou sur son orgue ou Mélanie Auclair qui tirait de son violoncelle des sons magnifiques ou tout le monde qui faisait de belles harmonies vocales... Et je n'ai pas encore parlé des shooters de vodka... Ni du cri du coeur de Léon, à la fin de la chanson Kiki BBQ, «composée pour tous ceux qui travaillent de jour afin de pouvoir continuer à rêver le soir, et d'améliorer leur sort et celui de ceux qu'ils aiment: lâchez pas!»

Bref, un spectacle où le plexus vibrait, la tête dodelinait et la peau dansait, pendant que la fatigue s'évaporait des corps des spectateurs, souvent transportés. La soirée s'est terminée en beauté sur le texte de Pour mieux s'aimer, que Martin Léon avait d'abord écrit sur la musique de... Nights in White Satin des Moody Blues, ainsi que sa version, seul à la guitare, d'Art poétique, poème de Gaston Miron mis en musique par Gilles Bélanger (qu'on trouve interprété par Martin Léon sur le bel album Douze hommes rapaillés). Tout ça pour dire que les spectateurs sont sortis du National plus heureux encore qu'en y entrant. Lâche-nous pas, Martin Léon...