À trois reprises avant la grande première de Maboul, Isabelle Massé a été témoin de la construction du spectacle-cabaret, une création Juste pour rire. Un beau défi pour le metteur en scène Stéphane Crête, qui a dû joindre les forces créatives d'artistes de partout.

Jeudi 19 juin, 10 h

«Décorum! Voici la journaliste. Vous m'appelez monsieur Crête et vous riez quand je fais des blagues», lance Stéphane Crête.

Cinq artistes sont assis devant le metteur en scène: un chanteur d'opéra qui joue les cantatrices (Alexandre Chassagnac), deux top danseurs hip-hop (Crazy C et Junior), un fantaisiste (Court-Circuit) et un contorsionniste (Artium Riis). Certains ne sont à Montréal que depuis trois jours.

«Comment ça s'est passé hier soir?» demande Crête à Crazy C et Junior.

«On a travaillé le numéro jusqu'à 2 h du matin», répondent-ils.

Il est maintenant temps de regarder l'horaire des prochains jours. «Lundi, les Chicos Mambo arrivent, donc vous aurez congé. Mardi, j'aimerais que vous fassiez tous vos numéros pour qu'on les filme et qu'on puisse les minuter. Je rencontre la costumière demain.»

La salle de répétition du quatrième étage du Monument-National, à Montréal, déborde d'accessoires. Ils appartiennent en majorité à Court-Circuit, qui se lève ensuite pour montrer de quoi il est capable sur scène. Il apporte devant tous des bouées roses, des pompons, des perruques, une commode percée... Il enlève son chandail et son pantalon. Puis, il se métamorphose rapidement en chanteuse, en commode, en nymphette...«J'essaie de faire rire avec des personnages extrêmement costumés, explique-t-il à tous. Je suis un joyeux bricoleur. Je fais des mises en scène du corps.»

Les autres artistes applaudissent après chaque tour de piste. «On est tous un peu sidérés», avoue Crête, qui se débat en même temps avec la sono de la salle de répétition. En vain...

Qu'importe, le metteur en scène a ensuite prévu des jeux pour rapprocher les membres du groupe. «Court-circuit, peux-tu nettoyer la scène, on va faire de la place pour des exercices? Il y a des jeux très simples qu'on peut faire pour se réchauffer et découvrir comment on fonctionne ensemble.»

Pendant 45 minutes, Crête inventera un taï-chi collectif, demandera aux artistes de se déplacer sur scène en solo, en groupe, avec tantôt une corde, tantôt une chaise, afin aussi qu'ils découvrent qui ils sont sur scène. «C'est correct si vous cherchez. Vous avez le droit de vous tromper», dit-il

Les artistes s'exécutent dans la joie. Repérés par Gilbert Rozon sur le plateau de l'émission française Incroyable talent, où il agissait à titre de juge, ils débutent pour la plupart dans le métier. Au fil des répétitions, ils devront apprendre à unir leurs talents pour créer un tout agréable pour les yeux et les oreilles. «Avec les exercices, on voit vraiment la personnalité de chacun se détacher», note Véronique Marcotte, l'assistante de Crête.

Vendredi 27 juin, 13 h

Depuis une semaine, les Chicos Mambo, un quatuor de danseurs venant de la France, de la Corse et de l'Australie, se sont joints à la troupe. «Tout le monde s'entend bien, assure Stéphane Crête. Aujourd'hui, on finalise les transitions entre les numéros. Pour l'instant, le spectacle en compte 30.»

En attendant l'arrivée des retardataires Chicos Mambo en salle de répétition, Court-Circuit déplace un mobile composé d'une dizaine de ballons gonflés à l'hélium en forme de poisson. Crazy C s'étire sur une chaise et Artium, au sol. Le metteur en scène écoute un des airs sur lequel Alexandre Chassagnac va chanter (un extrait d'un opéra de Mozart).

Quelques minutes plus tard, la troupe apprend qu'Artium et Court-Circuit vont participer au gala de Jean-Marc Parent le soir même. Ce qui complique l'horaire de répétition, déjà bousculé par l'arrivée imminente d'un reporter de l'émission Sucré, salé.

La bouche pleine (c'est l'heure du lunch), Stéphane Crête crie «Meeting! Les enfants, assoyez-vous autour de papa! Vous ne vous êtes pas trop ennuyés de moi?»

«Pas du tout!» lancent en riant les gars des Chicos Mambo, qui répondent enfin présents.

«Sucré, salé va nous retarder un peu, dit Crête. Malheureusement aussi, nous allons perdre Artium et Court-Circuit à cause d'un gala. J'aimerais donc placer les liens manquants du spectacle avec eux. On va aussi réviser le numéro d'ouverture avant leur départ. Et essayons d'être le plus efficaces possible pour que le reportage de Sucré salé se fasse rapidement. Lundi, vous répétez une dernière fois ici. Le soir, on récupère tout notre matériel. Mardi, on commence à monter le spectacle à la Maison des Arts de Laval et on visite la salle André-Mathieu (où on présente Maboul).»

Il y a de l'agitation dans la salle de répétition du Monument-National. Certains artistes de Maboul ne sont toujours pas à Montréal. «À cause des visas de travail, explique Véronique Marcotte. On s'est par ailleurs rendu compte avant-hier qu'on n'avait pas assez de numéros dans le spectacle. Ça nous déstabilise.»

Avant l'arrivée du reporter de Sucré, salé, les artistes prennent place pour le numéro d'ouverture. «Alors, noir dans la salle et sur la scène, lance Crête. Musique!»

Les artistes se croisent, s'envoient des regards, dansent et déplacent des objets. Le numéro de quelques minutes manque de rythme.

«On sent un essoufflement, mais je vais vous aider à vous déplacer, dit Crête aux artistes. Pour l'instant, on a un bloc de marbre dans lequel on ne fait que donner des coups. Éventuellement, on polira.»

Jeudi 3 juillet, 11 h

On sent la fébrilité sur la scène de la Maison des Arts de Laval, où les artistes de Maboul répètent depuis trois jours. Ce matin-là, les médias y sont conviés pour découvrir quelques numéros du spectacle. Alexandre Chassagnac réchauffe sa voix dans les coulisses et l'acrobate-danseur Anatoli, arrivé depuis peu à Montréal, ses muscles. «Allumez vos Kodak, je vais dire des choses intelligentes, lance Stéphane Crête aux journalistes, reporters et cameramen présents. Mon nom est Denis Bouchard, bienvenue à Laval! On s'est installés ici pour avoir les vraies dimensions de la scène. Les éclairages ne sont pas finalisés, mais on a nos décors.»

Les Chicos Mambo sont les premiers à présenter un numéro de danse indienne. «Mon cher Guy, balance-nous Bollywood!» lance Crête au directeur musical.

Court-Circuit, Anatoli, Crazy C et Junior offriront ensuite de courtes performances. Ce n'est pas forcément drôle, mais c'est chaque fois impressionnant. En une semaine, dans les décors métallisés et enfin montés, les numéros ont pris de la valeur. «J'avais envie de sortir du concept cabaret-rideau rouge et plumes! explique Crête. Je voulais un lieu plus ouvrier. On peut mettre de la beauté et de la poésie partout.»

Deux artistes se sont joints à la troupe...la veille seulement! «Et il manque toujours un acrobate russe, apprend Crête à la journaliste. Mais d'accueillir les artistes un à un m'a permis de créer une famille plus facilement.

«Les journées sont pleines, ajoute Crête. Chaque jour, on fait des pas de géant.»

«On a bougé pas mal de choses, ajoute Alexandre Chassagnac. On a raccourci beaucoup de morceaux pour créer un tout harmonieux. Mon numéro a été réduit de 8 à 5 minutes 24 secondes. J'étais déçu sur le coup, mais on ne peut pas se chicaner sur ça. Il ne faut jamais penser que tout est stable en création.»

Six jours avant la première du spectacle, le 9 juillet, beaucoup d'ajustements restaient encore à faire. Stéphane Crête ne savait toujours pas si son Maboul allait être un spectacle avec ou sans entracte. «Dans la préparation de tous les spectacles, il arrive un moment où le temps est très serré, confie Crête. Mais, avec les années, on apprend à faire confiance à la magie du théâtre.»

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Maboul, jusqu'au 20 juillet, à 20 h, à la salle André-Mathieu de Laval.