En quelques minutes, une corrida torride succédait à une céleste procession de la Madone hier soir dans les rues du centre-ville de Montréal.

C'était la première représentation de Toro, une production française éclatée et bordélique, et surtout de grande qualité.

Toro constitue un mélange de théâtre de rue et de défilé. Ses tableaux se succédaient et se déplaçaient un peu partout. Parfois en ligne droite, parfois en cercle.

Chaque déplacement est précisément réglé. Mais pour le spectateur, le déroulement semble instable et chaotique. Car on connaît seulement le point de départ. Pour le reste, il faut essayer de suivre la troupe. Ce qui se transforme souvent en combat, autant à cause du zèle de certains cadets qu'à cause du trajet gardé secret. Ceux qui cherchent une soirée tranquille sont prévenus. À ceux qui aiment le sport, on conseille de précéder autant que possible la marche.

La force de Toro réside dans la puissance évocatrice de ses tableaux. Ils s'enchaînent comme autant de ruptures. Les taureaux chargent la foule, alors que le feu et les tambours recréent une ambiance quasi militaire. La pureté indicible de la Madone provoque ensuite un silence sourd dans la foule. L'amour se transforme en corrida, où s'affrontent les orgueils et les pulsions dans une chorégraphie flamboyante. Puis relâché sans avertissement, le spectre du personnage de la Muerte sème le mystère et l'hystérie, avant que la soirée ne se termine dans une mise en abîme avec les cavaliers de l'apocalypse. La guerre, le sublime, l'amour et le néant s'incarnent à tour de rôle dans cette esthétique inspirée des toreros, ou du moins des traditions espagnoles et mexicaines.

Plusieurs des mises en scène sont renversantes. Un espace (on garde la surprise) se transforme même en arène de corrida, avec la terre au milieu et des musiciens en bordure, dont une section de cuivre et des guitares flamenco. Dans les autres, les explosions et le feu ne sont jamais loin.

La trame sonore est parfois préenregistrée, parfois jouée en direct. Pas toujours éblouissante, mais tout de même efficace.

Dans la tradition européenne des arts de la rue, Toro permet de se réapproprier les rues du centre-ville dans cette création extatique. Une rare chance à saisir pour une dernière fois ce soir.

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Dernière représentation ce soir à 21 h 43. Départ à l'intersection Sanguinet/Maisonneuve.