La décision d'Adam Levine d'enlever sa camisole, lors du spectacle de la mi-temps du Super Bowl, dimanche dernier, a remis le mouvement #freethenipple dans l'actualité. Selon la conception traditionnelle des bonnes moeurs, une femme ne peut pas avoir la poitrine dénudée dans un endroit public. Pourquoi? Deux poids, deux mesures, scandent plusieurs.

Le double standard

Adam Levine n'avait pas fini d'enlever sa camisole qu'une vague de gazouillis s'offusquaient du double standard. Pourquoi Adam Levine peut-il chanter torse nu au Super Bowl, alors que Janet Jackson a été au coeur d'une immense polémique lorsqu'elle a (accidentellement ou pas) montré un sein, dont le mamelon était couvert? Depuis plusieurs années, des personnes militent pour le droit d'avoir la poitrine dénudée en public, pour les hommes comme pour les femmes. Ce spectacle de la mi-temps a remis le sujet au coeur des discussions.

L'avis d'un avocat

Au Canada, est-ce qu'une femme peut avoir la poitrine dénudée dans un lieu public? L'avocat Jean-Claude Hébert explique que «l'État ne peut imposer une norme de moralité publique et sexuelle, sans quoi il y a atteinte à l'exercice et la jouissance de la liberté individuelle, notamment la liberté d'expression». En d'autres mots, il n'y a pas de loi qui empêche les femmes d'être torse nu, par exemple dans un parc. Par contre, chaque municipalité peut avoir ses propres règlements sur la question... Et chaque personne pourrait se tourner vers la justice pour défendre son droit d'être seins nus en public. «En général, les juges anglophones semblent plus libérateurs des moeurs. Triste à dire pour les francophones, si c'est le cas. C'est finalement une question de contexte», dit Me Jean-Claude Hébert.

«La différence entre le sein découvert de Janet Jackson et le torse nu du chanteur tient au fait que, dans la plupart des lois répressives en Amérique du Nord, le sein féminin est considéré comme un organe sexuel, si bien que celui qui le touche sans consentement de la femme commet une agression sexuelle.»

«Le torse masculin n'est pas considéré comme une partie intime et sexuelle de l'homme, poursuit-il. Il peut donc s'afficher publiquement, sans risque de commettre l'infraction d'indécence publique.»

Dans le Code criminel

Le Code criminel interdit les «actions indécentes» dans un lieu public, mais sans préciser exactement de quoi il s'agit. Les tribunaux ont déterminé qu'une action, pour être indécente, doit «dépasser les normes de tolérance de la société canadienne». En 1996, la Cour d'appel de l'Ontario avait créé des remous en décidant que le fait pour une femme de se promener la poitrine dénudée en pleine ville par une journée chaude ne constituait pas une action indécente. Bref, tout est affaire de contexte.

«Le double standard est précisément cette différence dans la loi entre le traitement fait à un mamelon masculin et féminin. C'est pour ça que Go Topless existe. Nous luttons contre cette discrimination à la télévision, dans les médias sociaux, à la plage, à la piscine publique, au parc...», explique Nadine Gary, présidente de Go Topless.

La journée «Go Topless»

Vers la fin d'août (plus précisément, le dimanche le plus proche du 26 août, qui est la journée de l'égalité des femmes aux États-Unis), GoTopless.org organise des événements pour revendiquer que les femmes aient les mêmes droits constitutionnels que les hommes d'être torse nu en public. Depuis quelques années, l'événement a lieu un peu partout dans le monde, dont à Montréal. Sa présidente Nadine Gary cite le chef spirituel de cette organisation, Raël: «Aussi longtemps que les hommes puissent être torse nu en public, les femmes devraient avoir le même droit constitutionnel. Sinon, les hommes devraient aussi se couvrir la poitrine», a-t-elle répondu par courriel à La Presse.

Les débuts de #freethenipple

En 2012, la réalisatrice Lina Esco commence à travailler sur son documentaire Free The Nipple, où un groupe de femmes se promènent seins nus à New York pour protester contre les tabous sociaux. À cette époque, a-t-elle expliqué au Huffington Post, il était illégal pour une femme de dénuder sa poitrine en public dans 37 États, et même d'allaiter dans cinq d'entre eux. 

«Il y a tellement de lois contre le corps des femmes et presque aucune contre le corps des hommes. Dans les années 1900, des milliers d'hommes ont été arrêtés, car ils refusaient de porter un maillot d'une pièce. Ce n'est qu'en 1936 que quatre hommes de Coney Island ont combattu la loi avec succès. Bien évidemment, le fait que le juge soit un homme a aidé. Ils ont aujourd'hui ce droit parce qu'ils se sont battus pour l'avoir.»

Photo Olivier PontBriand, Archives La Presse

La journée Go Topless se déroule aussi à Montréal depuis quelques années. Voici quelques personnes qui participaient, en 2016.

Des stars soutiennent le mouvement

De nombreuses stars ont participé au mouvement Free The Nipple sur les réseaux sociaux. Par contre, la majorité des photos ont été supprimées d'Instagram, puisque les photos de seins nus sont interdites. Le cofondateur d'Instagram, Kevin Systrom, défend cette décision en expliquant que s'il changeait cette règle, l'application serait proscrite aux jeunes, ce qu'il ne souhaite pas. Voici quand même quelques clichés qui avaient été publiés avec le mot-clic #freethenipple.

Quand l'Islande s'en mêle

Il y a aussi eu ce cas, en Islande, d'une adolescente qui avait publié une photo d'elle torse nu pour promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes. Victimes de harcèlement à la suite de cette publication, de nombreuses Islandaises ont publié également des photos d'elles, seins nus, en appui à la jeune femme, toujours en ajoutant le mot-clic #freethenipple. La députée Björt Ólafsdóttir a même publié une photo en disant: «J'en ai assez que le corps des femmes soit censuré».

«Parce qu'un mamelon est un mamelon, peu importe le sexe. Criminaliser les femmes qui exposent leurs seins a comme conséquence de les objectiver», estime Nadine Gary, présidente de Go Topless.

PHOTO KENZO TRIBOUILLARD, Archives Agence France-Presse

En 2014, à Paris, des membres des Femen protestaient contre les accusations portées contre deux des membres pour indécence publique. AFP