En publiant cette semaine son Rapport de la consultation sur le racisme systémique dans le milieu des arts, de la culture et des médias à Montréal, Diversité artistique Montréal (DAM) a dressé à la fois un portrait sociologique de la situation et un appel à l'action. Pour encourager la diversité culturelle et briser le cercle vicieux de l'exclusion.

Raciste, le Québec culturel, selon le rapport rédigé par Diversité artistique Montréal ? Disons plutôt que sa culture est loin d'être le parfait miroir de sa collectivité.

En 2016, 13 % de la population québécoise et 33 % de la population montréalaise (selon Statistique Canada) s'identifiaient à une ou des minorités visibles. Ce qui fait de Montréal la deuxième ville de la diversité en importance au pays, après Toronto.

«Le milieu culturel montréalais a de la difficulté à créer un imaginaire collectif qui inclut les personnes des minorités», avance en introduction le directeur général de DAM, Jérôme Pruneau. Selon lui, le «racisme systémique» se loge dans «toutes les sphères», y compris le secteur des arts, de la culture et des médias. 

«Le racisme systémique percute frontalement le milieu culturel, pourtant vecteur du sentiment d'appartenance à la société et de cohésion sociale, en excluant les minorités non blanches de l'identité québécoise.»

Pour un processus d'équité culturelle -  titre du rapport - a été écrit à la suite d'une année de consultation auprès de 55 représentants de la diversité artistique montréalaise. Il met en perspective les «catégories raciales construites depuis l'ère coloniale sur une couleur de peau, un patronyme, un accent ou un choix religieux [...], et les obstacles que la société dresse dans leurs parcours de vie». «La projection d'une homogénéité blanche dans les séries télévisées, les longs-métrages, les publicités, les médias, sur les scènes des festivals et des galas, reproduit un imaginaire collectif d'exclusion, lit-on. Cela se traduit par la mise au ban continue de l'identité plurielle québécoise au profit d'une image d'un Québec fantasmé "pure laine".»

Bien reçu au CAC

Le directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada (CAC), Simon Brault, accueille positivement ce rapport et ses recommandations. Il estime que ses auteurs ont bien situé et analysé le phénomène de l'exclusion et du racisme dans un contexte sociohistorique. «C'est un problème collectif et sociologique, plus que personnel et émotif», dit M. Brault, qui a lui-même été échaudé l'été dernier par des acteurs du milieu théâtral, durant l'affaire SLĀV et Kanata.

«Une partie des acteurs du milieu est toujours dans le déni, ajoute le directeur du CAC. Surtout chez les plus vieux, les 40 ans et plus. On l'a bien vu cet été dans l'affaire autour des spectacles de Robert Lepage, il y a un fossé des générations. Or, depuis quatre ou cinq ans, je sens un vent de changement, une prise de conscience pour briser le cercle vicieux et devenir responsable pour la suite des choses.»

Le rapport de DAM déplore la sous-représentation «flagrante des personnes racisées» dans notre paysage artistique et culturel.

Toutefois, Simon Brault juge que la question de l'inclusion englobe plus que la simple représentation sur nos scènes et nos écrans. «Pour moi, l'équité culturelle est un enjeu de société qui dépasse la création artistique. Ça soulève aussi la légitimité démocratique du financement public. On ne peut pas ignorer une partie grandissante de cette société qui nous subventionne. On ne peut pas prétendre représenter une société en excluant des gros pans de cette société.»

Que les demandeurs de subventions se le tiennent pour dit.

La question des quotas

Parmi les 31 recommandations du rapport, certaines risquent de faire tiquer le milieu. DAM propose aux institutions culturelles et médiatiques d'établir un système de quotas pour favoriser un changement rapide et arriver à une représentation équitable, tant dans les C.A., les jurys, les directions que dans les équipes de travail.

Le rapport suggère aussi de soumettre à la relecture par des comités experts les scénarios ou les «castings» des émissions, films, séries, etc., subventionnés en tout ou en partie par de l'argent public. Sur les réseaux sociaux, certains créateurs ont déjà commencé à crier à la «censure».

«C'est une mesure un peu extrême, certes, et qui fait peur, reconnaît Simon Brault. Au CAC, on n'est pas rendus là. Mais si ça ne bouge pas, on n'aura pas le choix d'agir si on veut vraiment refléter la réalité de la diversité de la population.»

Il y a aussi des témoignages dans le rapport qui peuvent soulever la «pure laine» des citoyens. Comme celui d'une artiste d'origine latino-américaine qui dit se sentir à Montréal comme un animal «exotique» dans une cage: «On est enfermés dans des conventions culturelles qu'eux [les Québécois blancs] ont créées et qui sont tangibles. C'est beau un singe sauvage, un tigre; le Québec a le même rapport avec nous qu'avec les zoos humains du XIXe siècle. C'est exotique, mais on ne se mélange pas.»

Réaction du directeur du CAC: «Ça reste le témoignage d'une personne. Mais c'est difficile de se mettre à la place de l'autre, tant que tu ne vis pas la diversité dans ton entourage, ton milieu de travail, ça demeure une question abstraite. Le rapport est utile, important, parce qu'il fait un travail pédagogique sur le racisme et le colonialisme. Il met des mots sur les maux», conclut M. Brault.