Annie Villeneuve a causé bien des remous en lançant une campagne de sociofinancement pour son prochain album. Elle n'est pourtant pas la seule artiste à explorer de nouvelles façons de rejoindre son public. Avec des sites comme Kickstarter, KissKissBankBank, Indiegogo, Haricot et La Ruche, le sociofinancement s'impose comme une nouvelle avenue permettant d'amasser de l'argent pour un projet artistique. Portrait de la situation.

«Aujourd'hui, je veux vous parler de quelque chose de très important pour moi.»

Assise sur un banc de piano, la chanteuse Annie Villeneuve s'adresse directement à ses fans dans une courte vidéo explicative mise en ligne la semaine dernière sur la plateforme La Ruche. En gros, elle sollicite leur aide pour amasser 60 000 $ afin de financer son cinquième album.

Avec l'argent recueilli, la participante à la première mouture de Star Académie souhaite réaliser un rêve: celui d'aller enregistrer à Nashville.

Le rêve country d'Annie Villeneuve en a fait sourciller plusieurs, pour qui la populaire chanteuse - dont les trois premiers albums ont été certifiés or et platine - n'a pas besoin d'aide.

En entrevue avec La Presse, la principale intéressée - qui s'attendait à susciter des réactions - a défendu son choix de recourir au financement participatif.

«Ça faisait un bout que je n'avais pas lancé d'album, alors je voulais marquer le coup et j'aimais l'idée de m'entretenir directement avec le public.»

La chanteuse affirme que son recours au sociofinancement n'a rien à voir avec une question d'argent. «Au Québec, ça me coûterait 60 000 $ [produire un album], mais ça va me coûter beaucoup plus cher à Nashville. Ce qui m'intéresse, c'est vraiment le contact avec le public», insiste Villeneuve, qui dit assouvir ainsi un vieux désir entrepreneurial.

Au moment d'écrire ces lignes, la chanteuse avait atteint 49 % de son objectif après avoir amassé 29 525 $ grâce à la générosité de 221 contributeurs.

Valeur ajoutée

Un artiste qui recourt au sociofinancement doit y mettre du sien pour atteindre ses objectifs.

Au-delà de l'album en prévente, divers «moments» sont en effet reliés aux contributions, qui varient de 1 $ à 3000 $. Pour 20 $, Annie Villeneuve offre un billet de tirage dont le prix est de l'accompagner au Gala de l'ADISQ. Pour 50 $, le donateur a un souhait personnalisé. Pour 500 $, il pourra même partager la scène avec elle lors d'un concert. Pour 1000 $, la chanteuse ira lui porter son album en mains propres.

Pour un des fondateurs de La Ruche, un organisme sans but lucratif, les artistes qui soumettent des projets ne quêtent pas d'argent, mais proposent plutôt une valeur ajoutée. «C'est très noble et audacieux de sa part», croit Jean-Sébastien Noël.

Hormis l'exception «Annie Villeneuve», la plupart des projets - dits de proximité - doivent laisser une empreinte sur le développement régional. «En trois ans, on a permis à 125 projets sur 185 d'atteindre leur cible, générant des revenus de 1,3 million de dollars», calcule M. Noël, qui compare son site (en activité depuis 2013) au nouveau perron de l'église.

«Le projet doit se qualifier, et si tu atteins ta cible, tu dois le réaliser. Il y a un accompagnement humain, challengé par un ambassadeur. Les promoteurs les plus solides se rendent jusqu'au bout.»

La Ruche prend un pourcentage seulement sur les projets qui atteignent leur cible.

De son côté, la plateforme Haricot est la première à avoir vu le jour au Québec, en plus d'avoir créé le terme «sociofinancement». «On est allé sur le terrain, on a fait le tour du Québec et la réussite ne se fera pas par magie en mettant des projets en ligne», explique sa cofondatrice, Audrey Benoît.

Mme Benoît estime que certains aspects du sociofinancement peuvent être perçus comme une solution de rechange aux problèmes vécus par l'industrie de la musique, sans toutefois pouvoir en régler tous les maux. «On n'a pas réglé les problèmes au niveau de la consommation d'albums», résume Mme Benoît, qui prend un pourcentage de 5 % sur les projets menés par le truchement de son site.

«C'est un peu notre brand d'aider des gens qui ont de la difficulté à passer à la banque. En plus du financement, la campagne permet aussi la réalisation d'une étude de marché», résume la fondatrice, qui voit le nombre de projets soumis augmenter de manière exponentielle chaque année.

Annie et les autres

Si la campagne d'Annie Villeneuve a fait des vagues, plusieurs artistes avant elle ont eu recours au sociofinancement.

C'est le cas de la chanteuse Maritza, qui a amassé un peu plus de 5000 $ l'an dernier avec une campagne menée sur le site Indiegogo. «Je me sentais un peu mal au début, mais j'ai fini par le voir davantage comme du donnant-donnant», explique la chanteuse, dont l'album Le diable à mes trousses est prévu en février. Les donateurs recevront notamment l'album en prévente, en plus d'avoir possiblement l'occasion de voir Maritza sur scène.

Mat Vezio - un artiste émergent qui s'apprête à sortir un album - avoue avoir lui aussi ressenti un léger malaise de prime abord. «Je ne trouvais pas ça noble en soi, mais je l'ai fait parce que j'étais à bout de ressources et que je n'ai pas été accepté pour des subventions», explique l'auteur-compositeur-interprète.

Antoine Corriveau, qui a lancé des campagnes de sociofinancement pour ses deux premiers albums, n'a pour sa part jamais eu de problèmes avec la perception que pouvaient en avoir les gens. «Ça ne coûte pas rien, faire un disque, et les ventes d'albums n'existent plus vraiment. S'il y a une perception de quêteux, elle est vraiment fausse. C'est juste une prévente et on peut offrir des forfaits», explique l'artiste, qui proposait un disque et une séance d'écoute en studio pour 250 $.

En ce sens, plusieurs croient que la petite tourmente entourant la campagne d'Annie Villeneuve permettra de mieux faire connaître ce type de financement moins traditionnel.

À commencer par la principale intéressée. «Je vois que je suis en train de défricher le chemin et je ne suis pas la dernière. Ça illustre les changements dans l'industrie de la musique», résume-t-elle.

Mais pour Luis Clavis du groupe Valaire - qui a eu recours au sociofinancement à deux reprises -, il ne faudrait pas que ce type de campagne devienne la norme et lui fasse perdre sa couleur originale. «Le but n'est pas de tous passer par là. Il faut rester créatifs», souhaite-t-il.

La voie traditionnelle

Si des artistes se tournent vers le sociofinancement, des organismes continuent d'offrir des subventions pour faire rayonner la musique québécoise.

Au Québec, ces subventions encouragent surtout des projets francophones et sont avant tout remises aux étiquettes de disques et non aux artistes. Une situation qui agace certains créateurs, dont plusieurs financent eux-mêmes la production de leur album. Ces derniers perçoivent alors directement la subvention et leur album est distribué sous licence.

En plus de la SODEC, qui offre des programmes d'aide et de crédits d'impôt, l'organisme Musicaction (Factor en anglais) et le Fonds RadioStar financent respectivement la production et la promotion d'albums complets.

Musicaction a d'ailleurs récemment diffusé la liste des artistes subventionnés pour 2016-2017. Les sommes les plus importantes sont accordées à des artistes établis qui semblent a priori bien gagner leur vie. Ainsi, Éric Lapointe a reçu 38 000 $, Jean-Pierre Ferland a eu deux subventions de 38 000 $, Luc De Larochellière, près de 54 000 $ et Nicola Ciccone a reçu 50 000 $.

Par courriel, le responsable des programmes et de la réglementation à Musicaction, Thomas Jolicoeur, a souligné qu'il existe deux modes d'attribution de l'aide pour les entreprises (labels), artistes, auteurs-compositeurs et autres acteurs de l'industrie: le premier, direct, accordé après analyse des demandes, et le second, accordé aux projets sélectionnés par un jury. Autre détail important: le demandeur doit pouvoir assumer la moitié des coûts de son projet.

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Consultez le site de Musicaction: http://musicaction.ca/

Quatre autres cas

Maritza

La chanteuse l'avoue d'emblée: elle n'est pas très «réseaux sociaux». Cela ne l'a pas empêchée de dépasser l'objectif de sa campagne menée l'an dernier sur Indiegogo. «Je devais amasser 5000 $ en 40 jours et j'ai finalement eu 5242 $. Il y a même des gens qui donnaient 500 $, c'est fou!», explique-t-elle. C'est en voyant Antoine Corriveau lancer une campagne de financement que Maritza a eu l'idée de faire pareil. «J'étais aussi endettée de mon EP sorti en 2012 et je devais trouver une façon de mener mon projet sans m'endetter à nouveau», explique la chanteuse, qui aime avoir carte blanche dans le processus créatif et qui n'hésiterait pas à renouveler l'expérience, mais pas avant quelques années. «Je dois me créer un plus gros réseau!»

Mat Vezio

Artiste émergent, Mat Vezio a sollicité de l'aide pour deux de ses albums, dont un en chantier. Il n'a pas fait affaire avec une plateforme établie, optant plutôt pour un site personnel avec un service de paiement en ligne. «J'avais vraiment besoin d'argent. J'avais déjà emprunté et je voulais payer le monde correctement», explique Vezio, qui a utilisé l'argent amassé (2400 $) pour la postproduction d'un album en chantier. En plus de l'aider à amasser des sous, la campagne de Mat Vezio lui a permis de susciter l'intérêt du label Simone Records (Louis-Jean Cormier, Ariane Moffatt). Quant aux subventions, il dit essayer d'en avoir année après année, sans succès. «On m'a déjà dit que je n'étais pas assez connu.»

Antoine Corriveau

Antoine Corriveau vient de sortir son troisième opus. Deux ans auparavant, il avait mené une campagne sur le web pour financer son deuxième album, qui l'a aidé à sortir de l'ombre. «Ça coûte cher de faire un disque, surtout si on veut bien payer notre monde. Pour moi, le sociofinancement, c'est juste une prévente et une façon d'offrir des forfaits», explique le musicien qui a eu droit à des subventions - ses premières - pour son nouveau disque. «On est content, mais ce système de subventions est adapté à l'ancienne industrie de la musique, où le producteur était la maison de disques», explique Antoine Corriveau. Le musicien ajoute qu'il doit lui-même acheter au label des exemplaires de son album pour les vendre ensuite, lors de spectacles, par exemple.

Valaire

Pendant des années, Valaire (qui a laissé tomber le Misteur en 2016) a offert gratuitement sa musique électro à ses fans. Le groupe de Sherbrooke n'a donc pas eu de scrupules à mettre sur pied une campagne de sociofinancement avant le lancement de son album Golden Bombay en 2010. «Notre musique était gratuite partout, les gens se sentaient peut-être redevables», croit le chanteur et percussionniste Luis Clavis, dont le groupe est aujourd'hui représenté par le label Indica. En échange d'un don pour l'album en prévente, le quintette n'hésitait pas à noliser un autobus pour conduire les donateurs à un gros party. Le groupe avait aussi mis sur pied un site où les gens payaient sur une base mensuelle pour avoir des extras.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le groupe Valaire