Depuis 30 ans qu'il fait carrière, Guillaume Lemay-Thivierge est devenu un observateur de premier plan du cinéma québécois. L'acteur aux multiples talents, qui tourne actuellement la suite des 3 p'tits cochons, avait lancé un pavé dans la mare, il y a quelques années, en déclarant que la critique aimait «taper» sur notre cinéma. Retour vers le futur...

Il y a cinq ans, tu as fait une sortie médiatique remarquée pour reprocher à la critique d'être trop dure avec le cinéma québécois. Trouves-tu toujours que la critique est injuste avec notre cinéma?

Tu veux qu'on se replonge là-dedans? (rires) La vérité, c'est que j'ai peu participé à des films depuis trois ou quatre ans et que je n'ai pas vraiment mesuré l'évolution de tout ça. J'ai fait de la télé, j'ai animé Fort Boyard, j'ai réalisé des épisodes de

30 vies. C'est un autre monde! Ce que j'ai constaté, c'est qu'il y a eu une baisse de fréquentation importante depuis l'époque de Nitro, des 3 p'tits cochons et de Bon Cop, Bad Cop. On n'imagine plus qu'un film puisse faire 10 millions au box-office. Notre cinéma, il faut lui donner de l'amour.

Les attentes ne sont plus les mêmes aux guichets. Est-ce qu'on vous en fait part, à vous les acteurs, quand vous participez à un projet?

Oui. Les distributeurs sont lucides. Ils savent que le marché n'est pas le même qu'il y a 10 ans. Deux millions au box-office en 2015, ce n'est pas comme deux millions en 2005. Je serais curieux de savoir quelle influence la critique a eue sur tout ça.

La critique aimerait bien avoir l'influence que tu lui prêtes! Elle compte pour des films d'auteur confidentiels, mais les blockbusters peuvent très bien se passer de la critique. Qu'on dise qu'un film commercial est un navet ne changera pas grand-chose à son succès.

Toi, tu as un travail à faire, et moi, j'ai un travail à faire. Moi, je fais la tournée de promotion en région, parce que j'ai un film à vendre. J'ai vu ses défauts et ses qualités, mais je ne suis pas là pour montrer du doigt ce qui cloche. Quand tu te promènes à Rouyn, Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières pour dire aux gens d'aller voir un film et de se faire leur propre opinion, et qu'en même temps, tu te bats contre un buzz négatif de la critique, tu as l'impression qu'elle a une influence. C'est une bougie d'allumage.

Tu trouves que ça donne le ton...

Oui. Je trouve que l'on trouve beaucoup de bonheur à chialer, comme peuple. L'énergie que les gens mettent à descendre un film, notamment sur les réseaux sociaux, est beaucoup plus grande que celle qu'ils mettent à en défendre un autre.

Et tu trouves que la critique devrait être plus conciliante avec les oeuvres québécoises?

Ce que je trouverais intéressant, c'est que chacun essaie de comprendre le point de vue de l'autre. C'est facile de critiquer. J'aimerais passer quelques jours avec toi pour comprendre ce qu'est ton travail. Mais je serais aussi intéressé à ce que les critiques viennent vivre notre réalité, pour mieux la comprendre. En même temps, peut-être que ça deviendrait un peu trop consanguin...

Il y a déjà une proximité inévitable entre la critique et les artistes au Québec. Et contrairement à toi, je trouve que la critique est plus indulgente avec le cinéma québécois qu'avec le cinéma étranger. Il y a ce qu'on appelle dans le milieu une prime «Qualité Québec». Une demi-étoile d'encouragement pour l'effort.

Peut-être. Mais le rôle de la critique au Québec peut-il être le même que celui de la critique internationale, étant donné la petitesse de notre marché? Je suis d'accord avec toi que des fois, il faut appeler un chat un chat. Mais on est presque uniques au monde à avoir un si grand nombre de productions, d'une aussi grande qualité, pour un marché aussi restreint. Ça tient déjà du miracle. On ne peut pas juger ça comme on jugerait un navet américain. Les conséquences ne sont pas les mêmes.

Je me méfie de la complaisance. Je trouve que les artistes et le public méritent mieux que ça. Justement parce que les artistes ont le talent requis pour faire des oeuvres de qualité. Quand ils ratent leur coup, il faut aussi le dire. Sinon, ils ne vont pas s'améliorer et le public ne fera plus confiance à la franchise de la critique. Je trouve qu'il y a aussi un danger à toujours mettre des gants blancs.

Je comprends. Mais ton plaisir, tu vas le chercher où dans ton travail?

Dans la découverte. Le cinéma, pour moi, c'est une passion avant d'être un travail. Même si je prends mon travail au sérieux. Je comprends que de travailler des années sur un projet qui est balayé du revers de la main par la critique, ça ne fait plaisir à personne. Tu as participé à quelques films qui ont été très mal reçus par la critique: Le poil de la bête, Filière 13. On s'habitue, à force?

Ça fait toujours quelque chose. On s'investit autant dans un bon film que dans un mauvais film. Tu le comprendrais si quelqu'un critiquait ligne par ligne un papier que tu as mis du temps à faire. 

Ça remet en question ce que tu es, ce que tu as pensé, ce que tu as voulu faire. C'est dur, faire un film. Même le pire des navets! Vous voyez 100 films par année, vous les critiques. Monsieur et madame Tout-le-Monde en voient beaucoup moins et ne recherchent pas nécessairement la même chose.

Je suis d'accord avec toi. Je vois 150 films par année. Quand c'est du déjà-vu ou de la formule, je décroche. Ces mécanismes-là peuvent être jugés efficaces par un public qui en voit moins. J'aime être surpris. Je recherche l'originalité...

As-tu déjà sauté en parachute? Si je t'emmenais sauter en parachute demain matin, il y a des chances que tu me dises que c'est une des plus belles expériences que tu as vécues. Mais si moi, qui saute souvent en parachute, je décide de te dire que j'ai ouvert le parachute trop tôt, que les conditions n'étaient pas idéales et que c'était un saut ordinaire, je vais péter ta bulle! Moi, je ferais confiance à une critique à deux vitesses, capable de poser un regard crédible de spécialiste, mais aussi de dire aux gens qui n'attendent que ça qu'ils vont s'amuser, rire et ne pas se casser la tête.

Je comprends ce que tu veux dire. Mais je n'ai pas envie d'une critique qui infantilise le public. On encourage le cinéma québécois en lui faisant une place dans les médias. On ne l'encourage pas avec une critique complaisante.

C'est une zone grise délicate. La critique est génératrice de buzz, qu'elle le veuille ou non. Et quand le buzz est négatif, ça nuit aux artistes, qui prennent moins de risques. 

Quand tu n'as pas les moyens de rater ton coup, parce que tu n'auras peut-être pas une autre chance, tu te replies dans la recette et le compromis, pour tenter de plaire au plus grand nombre. Personne n'y gagne. Ni les artistes, ni la critique, ni le public.